Le dynamisme ukrainien commence avec un Soviétique
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Le dynamisme ukrainien commence avec un Soviétique
Le dynamisme ukrainien commence avec un Soviétique
Le 23 mars, le musée de l’Arsenal de Kiev ouvrait une exposition autour d’un film, Ombres des ancêtres oubliés, œuvre atypique moderniste de 1964. C’est avec cela que la nomenclatura artistique montante, jeune et audacieuse, veut revertébrer son passé culturel.
Expérience réussie, comme en atteste Harold Hyman, à Kiev pour l’inauguration.
Le cœur du défi culturel ukrainien d’aujourd’hui consiste en un choix : régénérer le passé, quitte à le trafiquer, ou se tourner entièrement vers l’avenir – et alors quel avenir ? Un choix qui n’est pas forcément binaire. Les manifestants du Maidan sont les plus directement concernés par cette grande question historique.
Ici, je parle de l’histoire à construire, du destin national en devenir qui viendra confirmer les péripéties, succès et échecs, victoires et défaites, du passé.
Les nationalistes ukrainiens ne constituent qu’une partie du Maidan, numériquement la plus petite mais la plus musclée lors des heurts avec la police. Ils veulent résolument parachever un destin national avorté, et pour y arriver ils auront recours aux postures les plus extrêmes, inspirées de terribles moments du xxe siècle. Par là, je désigne les soulèvements antitsaristes, et fréquemment racistes. Le racisme en question vise les Russes, les Polonais, les Juifs. Des pogromes au xxe siècle, il y en a eu. Si l’hostilité envers les éléments et influences russes et polonais relève de l’insoumission, sociale et nationale, à un autre peuple menaçant de coloniser, la haine des Juifs repose, elle, sur un sinistre réflexe de purification ethnique. Le Juif, auxiliaire de l’aristocrate polonais féodal, ou simple concurrent dans la course aux faveurs impériales russes, ou encore le Juif bolchévique, instrument des stratagèmes anti-ukrainiens du parti totalitaire, voilà qui justifierait l’idée de s’en prendre si cruellement à eux… Difficile de se prétendre moderne en revendiquant un tel passé.
Toujours est-il que même le nationalisme squadriste n’est pas aujourd’hui dans la continuité des excès nationalistes du xxe siècle. En disant cela, je me projette sur le Maidan, dans les rangs du Pravi Sektor. Ce groupe mêle éléments de la droite nationaliste, gens ordinaires mais décidés à frapper, et un fort contingent juif !
Pour en revenir à la nouvelle expression de renaissance culturelle nationale ukrainienne, force est de constater que sur place, à Kiev, le résultat le plus impressionnant de la montée du mouvement Maidan est la renaissance culturelle, la soudaine expression civique d’artistes, d’écrivains et de citoyens, même de fonctionnaires, qui brille d’un espoir réel. La société ukrainienne était en carence culturelle sous la glaciation Ianoukovitch, voilà qu’elle se dégèle et produit tous les signes d’une société créative et passionnée, comme ce que la France a pu connaître après la Première Guerre mondiale.
Évidemment je me réfère ici uniquement à Kiev, seul endroit d’Ukraine où j’ai pu me rendre. Cela aurait été bien maigre comme expérience n’eût été l’occasion qui m’y mena : l’exposition commémorative autour du film soviétique de 1964 Ombre de nos ancêtres, signé Sergueï Parajanov. Distribuée autrefois en France sous le titre parfaitement inadéquat de Chevaux de Feu, cette œuvre magistrale a bénéficié d’une fenêtre d’opportunité dans l’URSS de l’époque, fin des années 1950 et début des années1960, où les langues et coutumes régionales étaient respectées voire encouragées. Consacré à la vie des paysans des Carpates, et particulièrement à celle de la tribu des Houtsoules, et tourné entièrement en dialecte ukrainien local, le film est la déclinaison cinématographique d’un roman de 1864.
Premier constat, ce film n’est pas une reconstitution romantique d’un passé pré-industriel et pré-soviétique ukraïnisant, mais un chef-d’œuvre hors catégorie apportant une vision nouvelle de la vie paysanne, du conte de Roméo et Juliette et de la passion humaine universelle.
L’avenir national de l’Ukraine passerait donc par l’art contemporain et la restauration des œuvres d’avant-garde de son passé soviétique.
Expressionniste, symboliste, que dire du style cinématographique de Sergueï Parajanov ? Créateur, artiste, sculpteur, dramaturge et cinéaste, ce touche-à-tout surdoué et hyperactif était en fait l’un des rares de sa catégorie à défier le système soviétique tout en tentant d’y fonctionner. Il eut le temps de réussir quelques grandes choses avant de passer dans les geôles du régime en plein regain répressif. Il s’agissait alors d’annuler l’ouverture khrouchtchevienne des années 1970. Parajanov resta cinq ans en prison, le temps de contracter la tuberculose, et finit emporté par un cancer à l’âge de soixante-six ans en 1990 à Erevan.
En organisant cette exposition hommage, son concepteur Andreï Alferov et le musée de l’Arsenal ont réussi un tour de force. Dans cinq espaces énormes, ils ont réanalysé le film Ombres des ancêtres oubliés, et « à la manière de la Cinémathèque française » en ont proposé une présentation à la fois scientifique et vivante. Les autorités et notabilités ukrainiennes, me dit Alferov, n’avaient à l’origine aucune notion de ce que pouvait être une exposition sur un film. Mais le défi a été relevé, et le tout-Kiev s’est déplacé.
L’importance de cet événement n’est pas seulement culturelle mais nationale : Parajanov, arménien soviétique, élevé à Tbilissi, n’était pas ukrainien. Il a pourtant à lui, presque, seul donné à l’Ukraine son Jean de Florette, sa Maria Chapdelaine, son Citizen Kane. Et ce film et cette exposition opèrent la synthèse entre folklore oublié, œuvre nationale emblématique, d’avant-garde et de contestation, réhabilitation d’un pan de l’histoire – l’ère soviétique – et ouverture sur les amis de l’Ukraine. L’exposition est devenue un moment phare dans la renaissance nationale, mais non nationaliste, d’une culture qui devra se chercher bien au-delà du folkorisme et de la propagande.
Александр- Messages : 5390
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