L'Ukraine, 20 ans d'indépendance - Libérer les médias
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L'Ukraine, 20 ans d'indépendance - Libérer les médias
L'Ukraine, 20 ans d'indépendance - Libérer les médias
Le président Viktor Ianukovitch (au centre) fait visiter son domaine à quelques journalistes triés parmi ceux qui lui sont favorables.
Photo : Agence France-Presse Mykhaylo Markiv
L'Ukraine célèbre cette semaine le 20e anniversaire de la proclamation de son indépendance. Officiellement, le pays a mis fin à la censure en 1991, mais dans les faits le contrôle de l'État sur les médias demeure bien réel.
Kiev — Le 6 juin dernier, c'était le Jour des journalistes en Ukraine. Pour fêter l'événement, une soixantaine de reporters ont parcouru à pied les 15 kilomètres séparant la capitale, Kiev, du luxurieux domaine du président Viktor Ianukovitch. Un an plus tôt, lors de son élection, le président avait promis d'ouvrir aux journalistes les portes de sa résidence d'une valeur de plusieurs millions de dollars, installée sur un immense terrain acquis de façon douteuse.
Mais une fois arrivés à la porte de fer à l'entrée du domaine, les «randonneurs» de l'information se sont frappés à une clôture de fer verrouillée. Au bout de quelques heures, le président est parti en trombe du domaine à bord d'un convoi de cinq voitures. Seule son attachée de presse est venue à la rencontre des journalistes, sortant du coffre de sa voiture un bouquet de roses et un énorme gâteau en forme de livre décoré d'un «Joyeux Jour des journalistes». Ils n'en ont pas mangé.
Ces reporters rebelles étaient des membres d'un mouvement nommé Stop Cenzuri, qui perturbe les conférences de presse du président et milite pour le droit à l'information depuis un an. Provenant de tous les types de médias, ils sont réunis dans un simple groupe Google. Ils y discutent de censure et ils y préparent leurs stratégies.
Mustafa Nayyem est l'un des fondateurs du mouvement. Le trentenaire au crâne rasé est journaliste pour la mythique Ukrainska Pravda (Vérité ukrainienne), un quotidien en ligne fondé par Georgiy Gongadze, assassiné en 2000. Des enregistrements diffusés après le meurtre faisaient entendre la voix du président Léonid Kuchma et des collaborateurs discutant de la nécessité de réduire Gongadze au silence; une enquête est toujours en cours.
Nayyem se souvient de l'étincelle qui a lancé Stop Cenzuri dix ans plus tard. «Il y a un an, un ami journaliste a fait un reportage télé portant sur le génocide de 1932-1933 [le gouvernement de Joseph Staline a affamé le peuple, tuant sept millions de personnes, dans le but d'éteindre un mouvement nationaliste]. Son topo a été censuré, il n'est jamais passé à la télé. On trouvait ça inacceptable», raconte le journaliste attablé dans un café de Kiev.
Des collègues et lui ont donc lancé le groupe sur Internet, auquel plusieurs journalistes ont adhéré. Lors de la première conférence de presse du président Viktor Ianoukovitch en 2010, Mustafa Nayyem a fait imprimer sur 100 t-shirts blancs «Stop Cenzuri» en rouge. «Les journalistes les ont mis pendant que les caméras tournaient en direct.» Et hop, ils étaient sur toutes les chaînes!
Des propriétaires proches du président
Un exploit dans l'univers hypercontrôlé de l'information, surtout depuis l'arrivée en poste du président Ianukovitch: même si le monde des médias est très diversifié, les propriétaires sont souvent de proches connaissances du pouvoir ou des hommes d'affaires intéressés. C'est le cas du média le plus populaire d'Ukraine, la télévision, dont les plus grandes chaînes assurent de façon générale une couverture positive du gouvernement en place. Des chaînes plus petites, comme Kanal 5 ou TVI, font bien un travail balancé, mais leur part de marché est minime parce que leur diffusion est limitée à une petite partie du pays. Même histoire pour le quotidien le plus influent du pays, le tabloïd Sevodnya, qui soutient le pouvoir.
L'opposition se cantonne donc sur de petites chaînes et dans de petits journaux, mais surtout sur le Web, comme le fait l'Ukrainska Pravda. Bien que disponible seulement en ligne, les députés le lisent tous et le site accueille 250 000 lecteurs par jour. «Le gouvernement ne s'intéresse pas au contrôle du Web, alors on peut écrire tout ce qu'on veut. On n'est pas considéré comme un média, alors on n'a pas à être enregistré. Ainsi, notre site ne peut pas être fermé par les autorités», ajoute Mustafa Nayyem
Mais le travail de l'Ukrainska Pravda a une portée limitée. Leurs «histoires», aussi percutantes soient-elles, ne passent pratiquement jamais à la télé, selon Mustafa Nayyem — sauf lorsque les journalistes ont publié une histoire de corruption du précédent président, Viktor Yuchenko, dont le mandat correspond à une période de plus grande liberté des médias. «Il a peut-être été passif, n'a pas fait grand-chose pour enrayer la pauvreté, mais au moins, il ne faisait jamais de pression sur les médias», dit le journaliste.
En tout, les médias indépendants ne représentent que de 5 à 10 % de l'offre journalistique en Ukraine, selon Telekritica, une ONG qui diffuse en ligne des vidéos et des textes portant sur le monde des médias depuis 10 ans. «Avec le Parti des régions au pouvoir [de Viktor Ianukovitch] qui veut avoir tout le contrôle en éliminant ses opposants, on a beaucoup de travail», explique Oleg Shynkarenko, un journaliste de 32 ans rencontré à Kiev. Le pouvoir et certains dirigeants de médias semblent confondre journalisme et relations publiques par moments, estime-t-il.
Une nouvelle loi sur l'accès à l'information
Stop Cenzuri espère aussi arriver à rétablir l'image des journalistes, écorché par ces pratiques. «Les gens pensent souvent qu'on est payés pour écrire de faux articles», pour favoriser ou s'attaquer à une industrie ou à un parti, raconte Mustafa Nayyem. Ils lisent finalement les enquêtes de son journal comme on lit un polar.
En mai, Stop Cenzuri a au moins obtenu le dépôt d'une véritable loi sur l'accès à l'information, la précédente n'étant qu'une coquille vide. «Elle n'est pas aussi complète qu'on le souhaitait, mais c'est un bon pas en avant, explique Mustafa Nayyem. On peut déjà faire des demandes pour accéder aux déclarations de revenus des députés, par exemple. Et si une demande d'information est refusée, on peut aller à la cour. Le seul problème, c'est que pour l'instant, il n'y a personne pour traiter nos demandes.» Un département reste à créer.
Le travail ne fait donc que commencer pour des médias plus libres. «On veut par exemple que la télévision publique soit dirigée par un membre indépendant du gouvernement... et on espère aussi visiter enfin le domaine du président!»
D'ailleurs, plus tard lors du Jour des journalistes du 6 juin dernier, le président a finalement accepté de rencontrer quelques journalistes, triés sur le volet, c'est-à-dire ceux qui ont toujours été «loyaux» envers lui. Il leur a fait des cadeaux. Ils les ont acceptés.
Contrôler les médias, c'est contrôler l'opinion . . . quoique.
Le président Viktor Ianukovitch (au centre) fait visiter son domaine à quelques journalistes triés parmi ceux qui lui sont favorables.
Photo : Agence France-Presse Mykhaylo Markiv
L'Ukraine célèbre cette semaine le 20e anniversaire de la proclamation de son indépendance. Officiellement, le pays a mis fin à la censure en 1991, mais dans les faits le contrôle de l'État sur les médias demeure bien réel.
Kiev — Le 6 juin dernier, c'était le Jour des journalistes en Ukraine. Pour fêter l'événement, une soixantaine de reporters ont parcouru à pied les 15 kilomètres séparant la capitale, Kiev, du luxurieux domaine du président Viktor Ianukovitch. Un an plus tôt, lors de son élection, le président avait promis d'ouvrir aux journalistes les portes de sa résidence d'une valeur de plusieurs millions de dollars, installée sur un immense terrain acquis de façon douteuse.
Mais une fois arrivés à la porte de fer à l'entrée du domaine, les «randonneurs» de l'information se sont frappés à une clôture de fer verrouillée. Au bout de quelques heures, le président est parti en trombe du domaine à bord d'un convoi de cinq voitures. Seule son attachée de presse est venue à la rencontre des journalistes, sortant du coffre de sa voiture un bouquet de roses et un énorme gâteau en forme de livre décoré d'un «Joyeux Jour des journalistes». Ils n'en ont pas mangé.
Ces reporters rebelles étaient des membres d'un mouvement nommé Stop Cenzuri, qui perturbe les conférences de presse du président et milite pour le droit à l'information depuis un an. Provenant de tous les types de médias, ils sont réunis dans un simple groupe Google. Ils y discutent de censure et ils y préparent leurs stratégies.
Mustafa Nayyem est l'un des fondateurs du mouvement. Le trentenaire au crâne rasé est journaliste pour la mythique Ukrainska Pravda (Vérité ukrainienne), un quotidien en ligne fondé par Georgiy Gongadze, assassiné en 2000. Des enregistrements diffusés après le meurtre faisaient entendre la voix du président Léonid Kuchma et des collaborateurs discutant de la nécessité de réduire Gongadze au silence; une enquête est toujours en cours.
Nayyem se souvient de l'étincelle qui a lancé Stop Cenzuri dix ans plus tard. «Il y a un an, un ami journaliste a fait un reportage télé portant sur le génocide de 1932-1933 [le gouvernement de Joseph Staline a affamé le peuple, tuant sept millions de personnes, dans le but d'éteindre un mouvement nationaliste]. Son topo a été censuré, il n'est jamais passé à la télé. On trouvait ça inacceptable», raconte le journaliste attablé dans un café de Kiev.
Des collègues et lui ont donc lancé le groupe sur Internet, auquel plusieurs journalistes ont adhéré. Lors de la première conférence de presse du président Viktor Ianoukovitch en 2010, Mustafa Nayyem a fait imprimer sur 100 t-shirts blancs «Stop Cenzuri» en rouge. «Les journalistes les ont mis pendant que les caméras tournaient en direct.» Et hop, ils étaient sur toutes les chaînes!
Des propriétaires proches du président
Un exploit dans l'univers hypercontrôlé de l'information, surtout depuis l'arrivée en poste du président Ianukovitch: même si le monde des médias est très diversifié, les propriétaires sont souvent de proches connaissances du pouvoir ou des hommes d'affaires intéressés. C'est le cas du média le plus populaire d'Ukraine, la télévision, dont les plus grandes chaînes assurent de façon générale une couverture positive du gouvernement en place. Des chaînes plus petites, comme Kanal 5 ou TVI, font bien un travail balancé, mais leur part de marché est minime parce que leur diffusion est limitée à une petite partie du pays. Même histoire pour le quotidien le plus influent du pays, le tabloïd Sevodnya, qui soutient le pouvoir.
L'opposition se cantonne donc sur de petites chaînes et dans de petits journaux, mais surtout sur le Web, comme le fait l'Ukrainska Pravda. Bien que disponible seulement en ligne, les députés le lisent tous et le site accueille 250 000 lecteurs par jour. «Le gouvernement ne s'intéresse pas au contrôle du Web, alors on peut écrire tout ce qu'on veut. On n'est pas considéré comme un média, alors on n'a pas à être enregistré. Ainsi, notre site ne peut pas être fermé par les autorités», ajoute Mustafa Nayyem
Mais le travail de l'Ukrainska Pravda a une portée limitée. Leurs «histoires», aussi percutantes soient-elles, ne passent pratiquement jamais à la télé, selon Mustafa Nayyem — sauf lorsque les journalistes ont publié une histoire de corruption du précédent président, Viktor Yuchenko, dont le mandat correspond à une période de plus grande liberté des médias. «Il a peut-être été passif, n'a pas fait grand-chose pour enrayer la pauvreté, mais au moins, il ne faisait jamais de pression sur les médias», dit le journaliste.
En tout, les médias indépendants ne représentent que de 5 à 10 % de l'offre journalistique en Ukraine, selon Telekritica, une ONG qui diffuse en ligne des vidéos et des textes portant sur le monde des médias depuis 10 ans. «Avec le Parti des régions au pouvoir [de Viktor Ianukovitch] qui veut avoir tout le contrôle en éliminant ses opposants, on a beaucoup de travail», explique Oleg Shynkarenko, un journaliste de 32 ans rencontré à Kiev. Le pouvoir et certains dirigeants de médias semblent confondre journalisme et relations publiques par moments, estime-t-il.
Une nouvelle loi sur l'accès à l'information
Stop Cenzuri espère aussi arriver à rétablir l'image des journalistes, écorché par ces pratiques. «Les gens pensent souvent qu'on est payés pour écrire de faux articles», pour favoriser ou s'attaquer à une industrie ou à un parti, raconte Mustafa Nayyem. Ils lisent finalement les enquêtes de son journal comme on lit un polar.
En mai, Stop Cenzuri a au moins obtenu le dépôt d'une véritable loi sur l'accès à l'information, la précédente n'étant qu'une coquille vide. «Elle n'est pas aussi complète qu'on le souhaitait, mais c'est un bon pas en avant, explique Mustafa Nayyem. On peut déjà faire des demandes pour accéder aux déclarations de revenus des députés, par exemple. Et si une demande d'information est refusée, on peut aller à la cour. Le seul problème, c'est que pour l'instant, il n'y a personne pour traiter nos demandes.» Un département reste à créer.
Le travail ne fait donc que commencer pour des médias plus libres. «On veut par exemple que la télévision publique soit dirigée par un membre indépendant du gouvernement... et on espère aussi visiter enfin le domaine du président!»
D'ailleurs, plus tard lors du Jour des journalistes du 6 juin dernier, le président a finalement accepté de rencontrer quelques journalistes, triés sur le volet, c'est-à-dire ceux qui ont toujours été «loyaux» envers lui. Il leur a fait des cadeaux. Ils les ont acceptés.
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