Différence entre Rous de Kiev et Moscovie
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Différence entre Rous de Kiev et Moscovie
L'Ukraine - La Russie
En Europe occidentale, et plus particulièrement en France, nombre d’intellectuels et d’ecclésiastiques persistent à croire que la ville de Kyïv (Kiev) était la capitale d’un "premier Etat russe" et qu’Anne de Kyïv (Kiev), reine de France, l’épouse d’Henri 1er une princesse russe.
Cette contrevérité aberrante résulte de l’audience accordée à la conception de l’histoire de la Russie propagée par les milieux politiques et religieux russes animés d’un expansionnisme impérialiste dangereux portant atteinte à la liberté et à l’existence même d’une nation voisine de la Russie.
Elle perpétue aussi fort à propos une erreur historiquevolontaire, fâcheuse au regard de l’histoire et de la géopolitique de notre continent au moment de la construction de l’Union européenne et de ses futures perspectives d’élargissement mais trop complaisamment admise par les opinions dirigeantes des pays ouest-européens dont notamment la France.
Une brève exposition des faits historiques permettra de mieux comprendre les origines très différentes de l’Ukraine et de la Moscovie-Russie.
Polanes, Antes et Rous’
Dans la Chronique des temps passés attribuée au moine Nestor, il est écrit que le prince Kyï (lire Kéï) était le fondateur de la ville de Kyïv (Kiev). Entenant compte du contexte international des Ve et VIesiècles, les historiens en déduisent que Kyï était très vraisemblablement une figure historique réelle du VIesiècle. Et qu’il était le chef (prince) de l'union des tribus polanes. Ce prince fit plusieurs campagnes contre Byzance,négocia en 530 avec l’empereur Justinien 1er, lui proposant de protéger les frontières septentrionales de l’empire byzantin contre l’expansion des Slaves. Mais, après l’échec des pourparlers, Kyï abandonna les territoires danubiens et se replia en terre polane dans la ville qui porte son nom encore aujourd’hui.
L’historien ukrainien Mykhaïlo Y. Braïtchevskyi, se référant aux textes des historiens byzantins du VIe siècle souligne que "…les écrivains byzantins appelaient les Polanes du nom d'Antes, et ces Polanes sont directement liés à la Rous'. Leur rôle dans la formation de la Rous' fut déterminant".
La Rous’ était donc à l’origine le pays des Polanes. D’ailleurs la Chronique des temps passés mentionne que, parmi les tribus slaves orientales, la plus importante était celle des « Polanes que l’on nomme aujourd’hui Rous’ ».
M. Braïtchevskyi en conclue que: « La Rous’, ce phénomène historique nouveau, remplaça l’Union polane(ante) lorsque celle-ci éclata. Il s’est créé sur les ruines de celle-ci une nouvelle Union polane dans de nouvelles limites territoriales », toujours dans la vaste région de Kyïv, capitale de l’actuelle Ukraine.
Il existe des indications concrètes que les termes de Rous’, Rhos, Ros, synonymes donnés au Pays de Kyïv ou plus précisément au Pays des Polanes, étaient largement connus au IXe siècle. Mais ils devaient l’être déjà dès le VIe siècle. M. Braïtchevskyi estime lui que la nouvelle union étatique appelée Rous’ apparut au VIIe siècle.
Dans un autre écrit d’époque, il est mentionné qu’une attaque des Rous’ eut lieu, en 813, contre l’île d’Egine en mer Egée et qu’en 883 une ambassade du prince des Ros (Rous’) arriva à Constantinople mais, vu la situation dangereuse qui régnait sur les côtes de la Mer Noire, l’empereur byzantin leur enjoignit de rentrer en Rous’ en passant par l’Europe occidentale.
Les termes « Rous' » et « Ukraine »
En 988, le prince de Kyïv (Kiev) Volodymyr (Vladimir) le Grand, après avoir fait baptiser ses fils,les membres de son conseil, les nobles (boïars) et la population de Kyïv, fit du christianisme la religion officielle de son Etat.
Mais au juste quel était cet Etat?
Nous avons vu précédemment que, selon la Chronique, «les Polanes, que l'on nomme aujourd'hui Rous'» vivaient sur le Dnipro (Dniepr) moyen, autour de Kyïv. La chronique évoque une dernière fois ces Polanes en 944, c’est-à-dire peu avant l'adoption du christianisme. Après 944, l'appellation tribale disparaît complètement au profit du nom étatique de Rous'.
Le terme «Terre rous'» (Rous’ka zemla) est employé pour la première fois en 852. A partir de 912, les deux termes - « Rous'» et « Terre rous' » - sont utilisés couramment mais parfois dans un sens différent: Rous’ désignant la métropole tandis que «terre rous'» pouvant s'appliquer plutôt aux possessions.
L'analyse détaillée des textes de la chronique montre qu'à cette époque et jusqu'aux XIIe-XIIIe siècles (nous pensons plus exactement jusqu'aux XIIIe-XIVe siècles), le nom de «Rous'» s'appliquait exclusivement au Pays de Kyïv (la ville et sa région), c’est-à-dire au territoire des Polanes et des autres tribus autour de Kyiv. Puis, commele constate M. Braïtchevskyi, la Rous' engloba "la région du Dniepr moyen avec Kyïv, Tchernihiv (Tchernigov), Pereïaslav et les territoires leur appartenant".
Ceci est confirmé par des historiens russes. P.N. Tretiakov qui écrit: «Un Etat est-européen commença à se former ici, longtemps (un à deux siècles) avant l'apparition des Riurikides à Kiev. Il est apparu dans cette partie du Dniepr moyen qui s'appelait Rous'. Longtemps encore, jusqu'aux XIIe-XIIIe siècles, cette région seule a porté le nom de «Rous'» ou «terre rous'» (…) «La Rous' n'était que le Pays de Kiev, où vivaient les Polanes quel'on nomme maintenant Rous'».
M.N. Tikhomirov écrit également: «Le nom de «Rous'» est l'antique nom du Pays de Kiev, pays des Polanes».
De même, M.D. Priselkov et A.N. Nassonov disent que le Pays de Rous' «est cette région située aux alentours des trois villes : Kiev, Tchernihiv et Pereïaslav rous'kyï».
Pour résumer citons encore P.N. Tretiakov : «De nombreux témoignages dans les chroniques prouvent que, jusqu'à cette époque (XIIe-XIIIe siècles,) ni les terres de Novgorod, ni celles de Smolensk, ni celles de Rostov et Souzdal, ni celles de Galicie-Volhynie, n'étaient appelées Rous'».
En d'autres termes, à l'époque du baptême de Kyïv, et même après, seule la partie centrale de l'actuelle Ukraine portait le nom de Rous'. Les autres territoires de l'empire n'étaient que des possessions de Kyïv, comme la Gaule n'était qu'une possession de Rome, un territoire dans l’Empire romain.
Pour ce qui est des limites territoriales, des historiens, situent la Rous' entre les villes actuelles de Novhorod-Siverskyi au nord (qu’il ne faut pas confondre avec la ville de Novgorod, au nord du lac Ilmen et au sud de St-Petersbourg, dans la région baltique), Kremianets à l'ouest (à l'ouest du Horyn, dans l'actuelle région de Ternopil, en Galicie) et Krementchouk sur le Dnipro(Dniepr) au sud.
A cette époque, il n'y avait aucune autre Rous'. Et c'est précisément cet Etat-métropole, la Rous', qui changea son nom en celui d'Ukraine.
Le nom d’«Ukraine»
Le nom d'« Ukraine » apparaît pour la première fois en 1187 dans la Chronique d’Ipatiev. Depuis cette date, il est utilisé pour désigner plusieurs régions de l'actuelle Ukraine. Utilisé pour un territoire qui n'appartenait ni à la Russie ni à la Pologne, ce nom ne voulait nullement dire "confins" de ces Etats! Il prit la signification de "pays", "notre pays".
Dès les XIVe-XVIe siècles, et plus particulièrement au cours des XVIe-XVIIe siècles, les termes d’"Ukraine", de "peuple ukrainien" s'emploient parallèlement au terme «Rous'», puis s'étendent peu à peu vers les territoires de Galicie et de Volynie.
C'est la raison pour laquelle les historiens ukrainiens considèrent tout naturellement que Kyïv était la capitale de l'Ukraine médiévale et qu'en 988, c’est l'Ukraine et non la Russie qui a adopté le christianisme. Ils considèrent également que l'histoire de la Rous' est celle de l'Ukraine et non pas de la Russie.
Notons qu’à l’époque, l'Etat des princes de Kyïvne portait pas le nom de "Rous' de Kiev", comme on apris l'habitude de dire, mais s'appelait tout simplement «Rous'». Les termes "Rous' de Kiev" et "Russie de Kiev" ont été inventés et imposés plus tard par des historiens russes, surtout à partir du XIXe siècle. En effet, s'il avait jadis existé une "Russie de Kiev", ce territoire devrait faire partie de la Russie tsariste et par conséquent de la Russie soviétique ou de la Russie actuelle...
Rous' - Ruthénie
Le monde extérieur donnait à l'Etat Rous' différents noms, plus ou moins invraisemblables et même parfois ridicules.
Dans un texte daté de 959, la princesse Olha (Olga) était appelée en latin Regina Rugorum.
D'autres chroniques allemandes et particulièrement celle de Thietmar de Mersebourg, évoquent l'ambassade des Rusciae gentis (des gens roussénes).
A propos du mariage de la fille de Iaroslav le Sage avec le roi de France Henri 1er (19 mai 1051), les sources occidentales contemporaines et ultérieures nomment le prince de Kyïv: Rex Ruthenorum (le roi des Ruthènes), mais aussi Rex Rugorum, Rex Rusicorum, Rex Ruticorum, Rex Rusulorum, Rex Sclavorum, Rex Rabastiae, etc.
Ajoutons que les Annales Augustines appellent, en 1104, la princesse kéïvienne Eupraxie, malheureuse épouse de l'empereur Henri IV, Rutenorum Regis filia (la fille du roi de Ruthénie).
Un auteur du milieu du Xlle siècle, mentionnant l'une des filles du prince de Kyïv, utilise les termes de Rutenorum seu Chyos Régis filia (la fille du roi de Ruthenie ou de Kyïv).
Ces dénominations n'avaient absolument rien à voir avec la Russie qui se formera quelques siècles plus tard. Par contre le terme de Ruthène est parfaitement acceptable et l’on peut donc affirmer qu’Anne de Kyïv était une Ruthène.
En effet, la "Chronique des temps passés" mentionne souvent cette dénomination ethnique - "rousséne" ou "Roussyn" (en polonais "Rusin"), notamment dans les traités de 911 et 944 avec Byzance. Plus tard, lorsqu'elle parle du premier métropolite de Kyïv, nommé en 1051, qui n'était pas grec, elle dit "Ilarion, rousséne" (le Ruthène Ilarion). Son appartenance ethno-étatique est donc ici bien soulignée. C'est cette même désignation ethnique de "rousséne", traduite en latin par "Ruthène", qui était utilisée en Rous', donc en Ukraine, et qui s'est maintenue jusqu'en 1939 et tout particulièrement en Ukraine occidentale.
En résumé, la Rous', c'est-à-dire l'Ukraine médiévale, était appelée en latin Ruthenia. C'est pourquoi certains historiens ukrainiens contemporains traduisent avec raison le terme de Rous' par celui de Ruthénie. Cependant ils le font très timidement car les Russes n'apprécient pas cette traduction et font pression pour que l'on traduise en français ou en anglais « Rous' » par "Russie". Cette habitude persiste dans les milieux intellectuels français et ouest-européens en général et se retrouve aussi malheureusement dans les manuels scolaires.
Moscovie – Rossia – Russie
La Russie n'est pas née à Kyïv: le berceau du peuple russe et de l'Etat russe, comme le soulignent certains historiens russes, "était la région de Rostov-Souzdal, sur la base de laquelle s'est formée plus tard l'Etat russe...". C'est dans cette région, devenue indépendante de Kyïv (donc de la Rous') en 1132-1135, que s'est formée la principauté de Moscovie (la ville de Moscou elle-même a été fondée en 1147), ouvrant une étape décisive dans la formation de la future Russie.
Ainsi la Moscovie-Russie est née et s’est développée en dehors de la Rous'.
Soulignons par ailleurs que l’adjectif "rous'kéï", dérivé de Rous', qui fut utilisé dans la chronique de l'époque, n'avait rien à voir avec l'adjectif "russe", dérivé du terme «Rossia» (nom de la Russie actuelle). Le nom «Rossia» (Россия) est apparu vers la fin du XVe siècle, d'abord comme un terme purement livresque, l'Etat portant toujours le nom de Grande Principauté de Moscou ou de Moscovie. Le nom Россия est devenu officiel à partir du règne de Pierre 1er.
En conclusion, les termes Rous' et Russie se rapportent à deux Etats différents, deux réalités historiques différentes, deux époques différentes et deux peuples différents.
En Europe occidentale, et plus particulièrement en France, nombre d’intellectuels et d’ecclésiastiques persistent à croire que la ville de Kyïv (Kiev) était la capitale d’un "premier Etat russe" et qu’Anne de Kyïv (Kiev), reine de France, l’épouse d’Henri 1er une princesse russe.
Cette contrevérité aberrante résulte de l’audience accordée à la conception de l’histoire de la Russie propagée par les milieux politiques et religieux russes animés d’un expansionnisme impérialiste dangereux portant atteinte à la liberté et à l’existence même d’une nation voisine de la Russie.
Elle perpétue aussi fort à propos une erreur historiquevolontaire, fâcheuse au regard de l’histoire et de la géopolitique de notre continent au moment de la construction de l’Union européenne et de ses futures perspectives d’élargissement mais trop complaisamment admise par les opinions dirigeantes des pays ouest-européens dont notamment la France.
Une brève exposition des faits historiques permettra de mieux comprendre les origines très différentes de l’Ukraine et de la Moscovie-Russie.
Polanes, Antes et Rous’
Dans la Chronique des temps passés attribuée au moine Nestor, il est écrit que le prince Kyï (lire Kéï) était le fondateur de la ville de Kyïv (Kiev). Entenant compte du contexte international des Ve et VIesiècles, les historiens en déduisent que Kyï était très vraisemblablement une figure historique réelle du VIesiècle. Et qu’il était le chef (prince) de l'union des tribus polanes. Ce prince fit plusieurs campagnes contre Byzance,négocia en 530 avec l’empereur Justinien 1er, lui proposant de protéger les frontières septentrionales de l’empire byzantin contre l’expansion des Slaves. Mais, après l’échec des pourparlers, Kyï abandonna les territoires danubiens et se replia en terre polane dans la ville qui porte son nom encore aujourd’hui.
L’historien ukrainien Mykhaïlo Y. Braïtchevskyi, se référant aux textes des historiens byzantins du VIe siècle souligne que "…les écrivains byzantins appelaient les Polanes du nom d'Antes, et ces Polanes sont directement liés à la Rous'. Leur rôle dans la formation de la Rous' fut déterminant".
La Rous’ était donc à l’origine le pays des Polanes. D’ailleurs la Chronique des temps passés mentionne que, parmi les tribus slaves orientales, la plus importante était celle des « Polanes que l’on nomme aujourd’hui Rous’ ».
M. Braïtchevskyi en conclue que: « La Rous’, ce phénomène historique nouveau, remplaça l’Union polane(ante) lorsque celle-ci éclata. Il s’est créé sur les ruines de celle-ci une nouvelle Union polane dans de nouvelles limites territoriales », toujours dans la vaste région de Kyïv, capitale de l’actuelle Ukraine.
Il existe des indications concrètes que les termes de Rous’, Rhos, Ros, synonymes donnés au Pays de Kyïv ou plus précisément au Pays des Polanes, étaient largement connus au IXe siècle. Mais ils devaient l’être déjà dès le VIe siècle. M. Braïtchevskyi estime lui que la nouvelle union étatique appelée Rous’ apparut au VIIe siècle.
Dans un autre écrit d’époque, il est mentionné qu’une attaque des Rous’ eut lieu, en 813, contre l’île d’Egine en mer Egée et qu’en 883 une ambassade du prince des Ros (Rous’) arriva à Constantinople mais, vu la situation dangereuse qui régnait sur les côtes de la Mer Noire, l’empereur byzantin leur enjoignit de rentrer en Rous’ en passant par l’Europe occidentale.
Les termes « Rous' » et « Ukraine »
En 988, le prince de Kyïv (Kiev) Volodymyr (Vladimir) le Grand, après avoir fait baptiser ses fils,les membres de son conseil, les nobles (boïars) et la population de Kyïv, fit du christianisme la religion officielle de son Etat.
Mais au juste quel était cet Etat?
Nous avons vu précédemment que, selon la Chronique, «les Polanes, que l'on nomme aujourd'hui Rous'» vivaient sur le Dnipro (Dniepr) moyen, autour de Kyïv. La chronique évoque une dernière fois ces Polanes en 944, c’est-à-dire peu avant l'adoption du christianisme. Après 944, l'appellation tribale disparaît complètement au profit du nom étatique de Rous'.
Le terme «Terre rous'» (Rous’ka zemla) est employé pour la première fois en 852. A partir de 912, les deux termes - « Rous'» et « Terre rous' » - sont utilisés couramment mais parfois dans un sens différent: Rous’ désignant la métropole tandis que «terre rous'» pouvant s'appliquer plutôt aux possessions.
L'analyse détaillée des textes de la chronique montre qu'à cette époque et jusqu'aux XIIe-XIIIe siècles (nous pensons plus exactement jusqu'aux XIIIe-XIVe siècles), le nom de «Rous'» s'appliquait exclusivement au Pays de Kyïv (la ville et sa région), c’est-à-dire au territoire des Polanes et des autres tribus autour de Kyiv. Puis, commele constate M. Braïtchevskyi, la Rous' engloba "la région du Dniepr moyen avec Kyïv, Tchernihiv (Tchernigov), Pereïaslav et les territoires leur appartenant".
Ceci est confirmé par des historiens russes. P.N. Tretiakov qui écrit: «Un Etat est-européen commença à se former ici, longtemps (un à deux siècles) avant l'apparition des Riurikides à Kiev. Il est apparu dans cette partie du Dniepr moyen qui s'appelait Rous'. Longtemps encore, jusqu'aux XIIe-XIIIe siècles, cette région seule a porté le nom de «Rous'» ou «terre rous'» (…) «La Rous' n'était que le Pays de Kiev, où vivaient les Polanes quel'on nomme maintenant Rous'».
M.N. Tikhomirov écrit également: «Le nom de «Rous'» est l'antique nom du Pays de Kiev, pays des Polanes».
De même, M.D. Priselkov et A.N. Nassonov disent que le Pays de Rous' «est cette région située aux alentours des trois villes : Kiev, Tchernihiv et Pereïaslav rous'kyï».
Pour résumer citons encore P.N. Tretiakov : «De nombreux témoignages dans les chroniques prouvent que, jusqu'à cette époque (XIIe-XIIIe siècles,) ni les terres de Novgorod, ni celles de Smolensk, ni celles de Rostov et Souzdal, ni celles de Galicie-Volhynie, n'étaient appelées Rous'».
En d'autres termes, à l'époque du baptême de Kyïv, et même après, seule la partie centrale de l'actuelle Ukraine portait le nom de Rous'. Les autres territoires de l'empire n'étaient que des possessions de Kyïv, comme la Gaule n'était qu'une possession de Rome, un territoire dans l’Empire romain.
Pour ce qui est des limites territoriales, des historiens, situent la Rous' entre les villes actuelles de Novhorod-Siverskyi au nord (qu’il ne faut pas confondre avec la ville de Novgorod, au nord du lac Ilmen et au sud de St-Petersbourg, dans la région baltique), Kremianets à l'ouest (à l'ouest du Horyn, dans l'actuelle région de Ternopil, en Galicie) et Krementchouk sur le Dnipro(Dniepr) au sud.
A cette époque, il n'y avait aucune autre Rous'. Et c'est précisément cet Etat-métropole, la Rous', qui changea son nom en celui d'Ukraine.
Le nom d’«Ukraine»
Le nom d'« Ukraine » apparaît pour la première fois en 1187 dans la Chronique d’Ipatiev. Depuis cette date, il est utilisé pour désigner plusieurs régions de l'actuelle Ukraine. Utilisé pour un territoire qui n'appartenait ni à la Russie ni à la Pologne, ce nom ne voulait nullement dire "confins" de ces Etats! Il prit la signification de "pays", "notre pays".
Dès les XIVe-XVIe siècles, et plus particulièrement au cours des XVIe-XVIIe siècles, les termes d’"Ukraine", de "peuple ukrainien" s'emploient parallèlement au terme «Rous'», puis s'étendent peu à peu vers les territoires de Galicie et de Volynie.
C'est la raison pour laquelle les historiens ukrainiens considèrent tout naturellement que Kyïv était la capitale de l'Ukraine médiévale et qu'en 988, c’est l'Ukraine et non la Russie qui a adopté le christianisme. Ils considèrent également que l'histoire de la Rous' est celle de l'Ukraine et non pas de la Russie.
Notons qu’à l’époque, l'Etat des princes de Kyïvne portait pas le nom de "Rous' de Kiev", comme on apris l'habitude de dire, mais s'appelait tout simplement «Rous'». Les termes "Rous' de Kiev" et "Russie de Kiev" ont été inventés et imposés plus tard par des historiens russes, surtout à partir du XIXe siècle. En effet, s'il avait jadis existé une "Russie de Kiev", ce territoire devrait faire partie de la Russie tsariste et par conséquent de la Russie soviétique ou de la Russie actuelle...
Rous' - Ruthénie
Le monde extérieur donnait à l'Etat Rous' différents noms, plus ou moins invraisemblables et même parfois ridicules.
Dans un texte daté de 959, la princesse Olha (Olga) était appelée en latin Regina Rugorum.
D'autres chroniques allemandes et particulièrement celle de Thietmar de Mersebourg, évoquent l'ambassade des Rusciae gentis (des gens roussénes).
A propos du mariage de la fille de Iaroslav le Sage avec le roi de France Henri 1er (19 mai 1051), les sources occidentales contemporaines et ultérieures nomment le prince de Kyïv: Rex Ruthenorum (le roi des Ruthènes), mais aussi Rex Rugorum, Rex Rusicorum, Rex Ruticorum, Rex Rusulorum, Rex Sclavorum, Rex Rabastiae, etc.
Ajoutons que les Annales Augustines appellent, en 1104, la princesse kéïvienne Eupraxie, malheureuse épouse de l'empereur Henri IV, Rutenorum Regis filia (la fille du roi de Ruthénie).
Un auteur du milieu du Xlle siècle, mentionnant l'une des filles du prince de Kyïv, utilise les termes de Rutenorum seu Chyos Régis filia (la fille du roi de Ruthenie ou de Kyïv).
Ces dénominations n'avaient absolument rien à voir avec la Russie qui se formera quelques siècles plus tard. Par contre le terme de Ruthène est parfaitement acceptable et l’on peut donc affirmer qu’Anne de Kyïv était une Ruthène.
En effet, la "Chronique des temps passés" mentionne souvent cette dénomination ethnique - "rousséne" ou "Roussyn" (en polonais "Rusin"), notamment dans les traités de 911 et 944 avec Byzance. Plus tard, lorsqu'elle parle du premier métropolite de Kyïv, nommé en 1051, qui n'était pas grec, elle dit "Ilarion, rousséne" (le Ruthène Ilarion). Son appartenance ethno-étatique est donc ici bien soulignée. C'est cette même désignation ethnique de "rousséne", traduite en latin par "Ruthène", qui était utilisée en Rous', donc en Ukraine, et qui s'est maintenue jusqu'en 1939 et tout particulièrement en Ukraine occidentale.
En résumé, la Rous', c'est-à-dire l'Ukraine médiévale, était appelée en latin Ruthenia. C'est pourquoi certains historiens ukrainiens contemporains traduisent avec raison le terme de Rous' par celui de Ruthénie. Cependant ils le font très timidement car les Russes n'apprécient pas cette traduction et font pression pour que l'on traduise en français ou en anglais « Rous' » par "Russie". Cette habitude persiste dans les milieux intellectuels français et ouest-européens en général et se retrouve aussi malheureusement dans les manuels scolaires.
Moscovie – Rossia – Russie
La Russie n'est pas née à Kyïv: le berceau du peuple russe et de l'Etat russe, comme le soulignent certains historiens russes, "était la région de Rostov-Souzdal, sur la base de laquelle s'est formée plus tard l'Etat russe...". C'est dans cette région, devenue indépendante de Kyïv (donc de la Rous') en 1132-1135, que s'est formée la principauté de Moscovie (la ville de Moscou elle-même a été fondée en 1147), ouvrant une étape décisive dans la formation de la future Russie.
Ainsi la Moscovie-Russie est née et s’est développée en dehors de la Rous'.
Soulignons par ailleurs que l’adjectif "rous'kéï", dérivé de Rous', qui fut utilisé dans la chronique de l'époque, n'avait rien à voir avec l'adjectif "russe", dérivé du terme «Rossia» (nom de la Russie actuelle). Le nom «Rossia» (Россия) est apparu vers la fin du XVe siècle, d'abord comme un terme purement livresque, l'Etat portant toujours le nom de Grande Principauté de Moscou ou de Moscovie. Le nom Россия est devenu officiel à partir du règne de Pierre 1er.
En conclusion, les termes Rous' et Russie se rapportent à deux Etats différents, deux réalités historiques différentes, deux époques différentes et deux peuples différents.
Александр- Messages : 5390
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