C'est à Kyiv
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Krispoluk
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Re: C'est à Kyiv
[size=41]Où partir à Kiev dans la deuxième quinzaine de septembre: Affiche des événements[/size]
14/09/2019
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L'été est fini, mais l'ambiance du festival n'y est pas encore. De nouveau à Kiev, un week-end chargé s'annonce riche en événements intéressants. Si vous n'avez pas prévu de week-end, consultez plutôt une sélection d'événements qui se dérouleront à Kiev dans les prochains jours.
Quand: le 14 septembre à 19h00
Où: côte sud, île de Trukhanov, à 200 mètres du pont piétonnier
Combien: 100 UAH
Quand: le 14 septembre à 19h00
Où: Jardin botanique. Grishko, st. Timiryazevskaya, 1
Combien: 450 UAH + entrée au jardin
Quand: le 17 septembre à 20h00
Où: club BelEtage, st. Shota Rustaveli, 16A
Combien: 990-2400 UAH
Quand: le 19 septembre à 19h00
Où: Atlas, st. Sich Sagittaire, 37-41
Combien: 199-299 UAH
Quand: le 20 septembre à 19h00
Où: «Palais d'Octobre» du CICR, Allée des héros de Cent célestes, 1
Combien: 400-1350 UAH
Quand: le 20 septembre
Où: Parc Road, 2
Combien: à partir de 250 UAH
Et le plus brutal des plus brutaux, récupérez vos machettes et préparez-vous à rencontrer Danny Trejo, il deviendra également un invité vedette de Comic Con Ukraine 2019. Le plus célèbre «méchant» d'Hollywood, qui s'est fait connaître grâce au rôle d'antihéros dans les films et les émissions de télévision: «Du crépuscule à l'aube» "," Desperate "," Machete "," Confrontation "," Spy Kids "," Inferno "," Predators "," Three X's "," Prison de l'Air "," Sons of Anarchy "," X-Files ", Breaking Bad, "American Family", "Flash", "Brooklyn 9-9" et de plus en plus, oui ... plus de 300 rôles.
Vous pourrez parler en direct des légendes les 21 et 22 septembre à Platform Art Factory. Les personnes intéressées peuvent prendre une photo et obtenir un autographe.
Quand: du 21 au 22 septembre
Où: Plate-forme Art Factory
Combien: à partir de 600 UAH
14/09/2019
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L'été est fini, mais l'ambiance du festival n'y est pas encore. De nouveau à Kiev, un week-end chargé s'annonce riche en événements intéressants. Si vous n'avez pas prévu de week-end, consultez plutôt une sélection d'événements qui se dérouleront à Kiev dans les prochains jours.
Anton Slepakov avec le programme Unmounted sur la côte sud
Le leader des calèches poursuit son projet poétique dont la première partie s'appelait «Clearing Circumstances». Le nouveau programme, qui reposera également sur des textes, s’appelle «Démonté». Il était basé sur l'artbook éponyme avec des vers d'Anton Slepakov et des illustrations d'Alina Gaeva. Et pour rendre le public plus immergé dans l’atmosphère des paroles d’Anton, Andrei walakos Sokolov l’accompagneraQuand: le 14 septembre à 19h00
Où: côte sud, île de Trukhanov, à 200 mètres du pont piétonnier
Combien: 100 UAH
Natalia Mogilevskaya, concert de charité dans le jardin botanique. Grishko
Natalia Mogilevskaya a récemment présenté la version en ukrainien de son tube «Autumn in Kiev», qui a également publié une nouvelle chanson, «Pokokhala». Mogilevskaya a décidé de les présenter et de chanter leurs chansons préférées en plein air dans l'un des plus beaux endroits de la capitale - le jardin botanique nommé d'après Grishko. Et la chanteuse donnera tout l'argent de la vente de billets pour l'amélioration du territoire du jardin botanique.Quand: le 14 septembre à 19h00
Où: Jardin botanique. Grishko, st. Timiryazevskaya, 1
Combien: 450 UAH + entrée au jardin
Balthazar au BelEtage Club
Après une pause de trois ans, le groupe indie pop et rock belge Balthazar revient à Kiev avec la présentation d'un nouvel album. Fever est sorti en janvier de cette année et est devenu le premier album en quatre ans et le meilleur album de la discographie des Belges. Pendant ce temps, Jinte Depre et Maarten Devoldere ont été assez surpris par les projets parallèles sous les noms de J. Bernardt et Warhaus, qui se sont produits à plusieurs reprises en Ukraine. Toute l'expérience acquise au cours d'expériences musicales a été investie dans Fever. C'était un mélange de danse de J. Bernardt et de langueur sexuelle de Warhaus. Dans la capitale, le groupe présentera non seulement l'album, mais jouera également ses plus grands succès - de Bunker à Do Not Claim Them Anymore.Quand: le 17 septembre à 20h00
Où: club BelEtage, st. Shota Rustaveli, 16A
Combien: 990-2400 UAH
Présentation du livre de Les Podervyansky au Atlas Club
Les Podervyansky vous invite à la présentation d'une nouvelle collection (plus complète en ce moment) - "Fascination de la soirée". Pour la première fois, les lecteurs seront en mesure de se familiariser avec les nouvelles histoires (inédites) de la série Sick et les textes sur les animaux et les personnes sous le titre général Histoires SMS. Le programme comprend un autographe et une séance photo avec les fans, des rafraîchissements gratuits et de jolis mots.Quand: le 19 septembre à 19h00
Où: Atlas, st. Sich Sagittaire, 37-41
Combien: 199-299 UAH
Salvador réuni au palais d'octobre
Le gagnant de l'Eurovision 2017, la chanteuse portugaise Salvador Collected, accompagnée des meilleurs musiciens de jazz du monde, se produira à Kiev. Le concert aura lieu dans le cadre d'une tournée mondiale en faveur du nouvel album parisien Lisboa. Les téléspectateurs auront l'occasion d'entendre en direct le vainqueur Amar Pelos Dois et des chansons du nouvel album.Quand: le 20 septembre à 19h00
Où: «Palais d'Octobre» du CICR, Allée des héros de Cent célestes, 1
Combien: 400-1350 UAH
Fermer le théâtre vert
Cette saison, le Green Theatre a réussi à offrir une expérience inoubliable à tous les citoyens de Kiev. Et tout cela grâce à des soirées avec des hits préférés jusqu’à l’aube, à des DJs occidentaux et locaux réputés, à des projections de films en plein air et aux meilleurs concerts.Mais il est temps de dire au revoir au Green Theatre pour la nouvelle saison et de le célébrer avec une fête incendiaire.Quand: le 20 septembre
Où: Parc Road, 2
Combien: à partir de 250 UAH
Dr. Emmett Brown de Back to the Future et Danny Trejo pour la première fois arrivent à Kiev
Les 21 et 22 septembre, le célèbre acteur Christopher Lloyd deviendra la vedette du Comic Con Ukraine 2019 . Le célèbre voyageur du temps est le propriétaire de trois Emmy Awards et est connu pour ses rôles dans de tels films: La famille Adams, Qui a encadré Roger Rabbit, Mon martien préféré, Survolant le nid de coucou.Et le plus brutal des plus brutaux, récupérez vos machettes et préparez-vous à rencontrer Danny Trejo, il deviendra également un invité vedette de Comic Con Ukraine 2019. Le plus célèbre «méchant» d'Hollywood, qui s'est fait connaître grâce au rôle d'antihéros dans les films et les émissions de télévision: «Du crépuscule à l'aube» "," Desperate "," Machete "," Confrontation "," Spy Kids "," Inferno "," Predators "," Three X's "," Prison de l'Air "," Sons of Anarchy "," X-Files ", Breaking Bad, "American Family", "Flash", "Brooklyn 9-9" et de plus en plus, oui ... plus de 300 rôles.
Vous pourrez parler en direct des légendes les 21 et 22 septembre à Platform Art Factory. Les personnes intéressées peuvent prendre une photo et obtenir un autographe.
Quand: du 21 au 22 septembre
Où: Plate-forme Art Factory
Combien: à partir de 600 UAH
Caduce62- Messages : 15213
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Re: C'est à Kyiv
Хостел у форматі... метро.
Старі вагони київського метрополітену стали частиною нового хостелу на Подолі.
Тепер фраза "жити у метро" набуває нового змісту, еге ж?
Auberge en format... Métro.
Les vieux wagons du métro Kiev sont devenus une partie de la nouvelle auberge sur podil.
Maintenant, la phrase "vivre dans le métro" prend une nouvelle essence, hein ?
Старі вагони київського метрополітену стали частиною нового хостелу на Подолі.
Тепер фраза "жити у метро" набуває нового змісту, еге ж?
Auberge en format... Métro.
Les vieux wagons du métro Kiev sont devenus une partie de la nouvelle auberge sur podil.
Maintenant, la phrase "vivre dans le métro" prend une nouvelle essence, hein ?
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Re: C'est à Kyiv
Ouaip... T'en n'as pas de plus jeunes en magasin ??? Parce que là, elles font plutôt "Jeanne Moreau" hein...
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Re: C'est à Kyiv
Київ, Ярославська, 11.
Цей стінопис було створено за підтримки Агенства ООн з питань біженців...
Вражає, як з допомогою лише одної літери автори надали роботі такого актуального для України змісту...
Помітили?
UNHCR Ukraine
Kyiv, Iaroslavl, 11.
Cette murale a été créée avec le soutien de l'agence de l'ONU sur les réfugiés...
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Re: C'est à Kyiv
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Guerre en Ukraine : la vie à Kiev, plongée dans l’obscurité et le froid
Ariane Chemin
Publié aujourd’hui à 06h30, mis à jour à 08h58
Razzia sur les lampes à piles et les générateurs, fuite vers la datcha et les poêles à bois, astuces de survie empruntées aux plus vieux… La capitale ukrainienne se débrouille pour continuer à vivre avec les coupures de courant que la Russie utilise comme une arme de guerre.
D’où vient ce caquètement quand Mykola Fechtchouk tourne la clé dans sa serrure ? Du fond de son appartement, au sixième étage d’un immeuble d’Irpine. C’est la lueur de sa lampe frontale qui dévoile la gêne de cet homme, au moment d’ouvrir la porte de son trois-pièces, en anorak et bonnet noir. « Vous m’excuserez, j’ai pris des poules cet été, ça permet d’avoir des œufs. » En ce début d’hiver, la ville, qui a poussé comme un champignon dans les dernières années de l’Union soviétique avant de devenir une banlieue agréable de Kiev, puis, il y a neuf mois, le symbole des terribles pilonnages de l’armée russe et de son retrait précipité, est touchée par le froid et l’obscurité. La lumière ne brille plus que quelques heures par jour – « trente minutes » ce jeudi 1er décembre, calcule le quadragénaire.
Mykola Fechtchouk vit dans un des immeubles visés par des raids aériens en mars. Quatre trous, tous les carreaux cassés. Blessé par un éclat d’obus, il était tombé dans la boue et s’était enfui « comme un rat » mettre sa femme et sa fille à l’abri en Pologne. En son absence, malgré les vitres soufflées, les Russes ont occupé les neuf étages de sa barre d’immeuble. Sauf son appartement : ce serrurier de métier s’était fabriqué la plus belle porte du monde, « 150 kg de blindage », rit-il. Il l’a réinvesti au printemps, y a passé l’été. Rien n’a été réparé, sauf qu’il neige à gros flocons, que la nuit tombe à 16 heures, qu’il gèle, et qu’à cause des récentes frappes aériennes sur les systèmes d’eau et d’électricité du pays, il fait tout noir. Encore un nouveau décor.
Un habitant sur cinq a déjà quitté Kiev et sa périphérie. Environ 80 % des exilés ont entre 18 et 35 ans, comme la fille et la femme de Mykola, toujours réfugiées dans un village polonais. Lui est resté en Ukraine, comme les hommes de son âge, mais sans argent, sans voiture, sans boulot, car « les habitants ont quitté la ville ». A peine si, de temps en temps, il dépanne les imprudents bloqués dans l’ascenseur par une panne de courant.
Le reste de sa vie se partage entre cigarettes grillées dans la cour de la cité à papoter avec ce qui reste du voisinage, et à faire un tour au supermarché, rouvert grâce à un générateur électrique. Les générateurs ! En Ukraine, particuliers ou entreprises, chacun veut aujourd’hui le sien. Mais les prix grimpent (25 000 hrivnas, soit environ 500 euros, le double de 2021), car la pénurie guette : on se cotise pour les trouver à la débrouille, en Pologne. Sur les pages Facebook, des briques de démonstration chauffent sur des cuisinières à gaz.
Des coquilles d’œuf dur traînent sur la table de la cuisine de Mykola, vestiges de son déjeuner devant un immeuble éventré et noirci – la vue depuis sa fenêtre toute rafistolée. En quelques semaines, Kiev et sa banlieue redécouvrent les vieux « trucs » d’hier. Les trois poules rousses enfermées derrière une planche, au coin de son couloir ? « Je me suis souvenu des conseils de ma grand-mère, qui a vécu en Oural entre 1939 à 1946 », dit le serrurier. Il attrape une lampe à huile sur une étagère. « Une antiquité : ma grand-mère nous racontait qu’elle s’en servait petite pour lire et pour écrire. » Sa mère lui a offert sa frontale, un accessoire indispensable en cet hiver ukrainien privé d’éclairage public, et sa femme des photophores en étoile. En cas de pénurie de piles, il pourra compter sur elles.
Des applications téléphoniques de la mairie tentent bien de planifier le rationnement en électricité et ces coupures en « éventail », dit-on joliment ici. Mais elles pèchent souvent par optimisme : le noir peut survenir, à chaque instant. Salles de fitness, cafétérias d’hypermarchés, piscines - comme celle de Dragomanov, où les nageurs effectuent leur brasse dans le noir : chacun reste imperturbable. « Voilà trois semaines qu’on s’adapte », explique Laryssa dans son magasin d’optique privé d’éclairage. « Quand on ne peut pas faire d’examen de vue, poursuit l’opticienne sous un poster pour lunettes de soleil, on note les portables, et dès que la lumière revient, on rappelle : venez, courez ! »
Au 11, rue Lavroukhina, au cœur du quartier populaire de Troyechtchyna, l’un des plus vastes de la capitale ukrainienne, les locataires ont suspendu un tote Bag Zara dans l’ascenseur. Le sac de toile, surnommé « kit de survie », y reste accroché nuit et jour. Dedans, une bouteille d’eau, une lampe de poche à ampoule led, « des cookies et un petit sandwich, au cas où », explique Tetyana Savitska, une mère de famille divorcée de 54 ans qui vit seule dans un studio où « chaque chose est à sa place ». Car dans l’obscurité, il faut une discipline.
Avant de s’endormir, Tetyana Savitska pose près d’elle lampe de poche et « licorne magique », une décoration lumineuse à piles en forme de cette créature de légende qui lui sert pour travailler et lire – « en ce moment, la bio de Churchill par Boris Johnson ». Et si, en pleine nuit, elle entend le frigidaire se mettre en branle, « alors debout, pas de temps pour la paresse », elle prépare vite « trois thermos, l’une de thé, l’autre de café, la dernière pour la toilette ». Si l’eau a eu le temps de chauffer, elle s’offre un bon shampoing.
Chaque soir, elle pose sur son radiateur encore tiède « un pot en verre dans lequel vous battez deux ou trois œufs, une cuillère de crème fraîche, du fromage râpé et des épices. Le matin, je trouve une délicieuse omelette toute prête ». De quoi partir travailler au service numérique de sa société le ventre plein.
Chacun ses recettes. A quelques blocs de là, Lioudmyla Oleksina, aide-soignante de 65 ans, montre les bouteilles d’eau dont elle se fait des bouillottes à « poser sur les genoux » et le balcon qui sert désormais à conserver son beurre, son lait, les cornichons, la crème pour les beignets et le fromage, comme dans les celliers des campagnes, au temps où les frigos n’existaient pas. Chez d’autres, on y entrepose « le boudin » (noir).
A Hostomel, près de l’aérodrome où s’est livrée la grande bataille des 24 et 25 février, la maison d’Olia Prouss a été pulvérisée le 3 mars. Sur le marché, son bazar, mi-droguerie mi-quincaillerie, écoule désormais surtout des bougies qu’elle brûle aussi le soir, dans le petit meublé loué avec son mari, dans la même rue qu’avant. Le couple y regarde des films sous les couvertures du lit pliant en grignotant, entre leurs deux chiens et leurs cinq chats, les graines de tournesol et les pétales de coing séchés toute la journée sur le four à bois. La garantie de n’avoir jamais froid.
Début octobre, beaucoup de Kiéviens ont pris la route vers une datcha : la leur, celle des grands-parents, d’amis… Le bois y a été « fait » dès la fin de l’été, en prévision de l’hiver. La vie y est plus facile qu’en ville. En novembre, la mairie de Kiev avait d’ailleurs prévenu que si le système électrique arrivait à un « point de rupture », les habitants seraient appelés à « évacuer » la ville. Le maire, Vitali Klitschko, vient, cette fois, de suspendre les cours des élèves de primaire et du secondaire, du 23 décembre au 27 janvier 2023, pour les reporter en juillet. Comme si la capitale se préparait à un siège.
Il faut dire qu’avec les personnes âgées, les enfants souffrent plus que d’autres de la guerre et de la pression psychologique menée par Moscou. Un landau prend le frais sur un balcon du quartier de Borchtchaguivka. Dedans, le bébé de cinq mois de Dacha Stokoz, emmitouflé jusqu’aux yeux. La jeune femme de 32 ans a laissé provisoirement son mari dans leur logement de l’ouest de la capitale, trop proche à son goût de l’usine Antonov bombardée en mars, préférant l’appartement de ses parents, au sud de Kiev. Mais il se trouve au… 11e étage : trop haut pour sortir une poussette sans ascenseur. « Je fais prendre l’air à mon petit garçon ainsi, je l’allaite, ce qui simplifie les choses, et j’ai prévu dix jours de lingettes, si l’eau venait à manquer. » Dès qu’un raid aérien se profile, le bébé est vite éloigné des fenêtres. « Si je vous raconte tranquillement tout ça, confesse cette actrice, c’est qu’aujourd’hui je prends des antidépresseurs. »
Chaque pharmacie de Kiev constate une hausse des ventes de « vitamines C, D, et de zinc », mais le boom des achats concerne surtout les calmants. Pas de simples huiles essentielles ou de pilules homéopathiques, mais des somnifères « puissants » pour trouver le sommeil et « des anxiolytiques costauds », précise une pharmacienne. Des traitements capables d’installer, quand l’optimisme gouvernemental et la ferveur patriotique ne suffisent plus, cette fameuse « résilience », ou capacité à surmonter les chocs traumatiques, devenue en quelques semaines le synonyme de la résistance civile ukrainienne et passée dans le langage courant.
« Le terme n’est pas utilisé par hasard, dit Sofiya Terlez, psychologue clinicienne et spécialiste de thérapie familiale. Des psys ukrainiens ont été aidés lors de formations hebdomadaires sur les stress post-traumatiques par des collègues américains et israéliens. [L’épouse du président] Olena Zelenska travaille beaucoup avec nous, le mot a été repris par les politiques » pour se transformer en quasi-slogan après les frappes sur les infrastructures civiles. « Soyez résilients », affiche l’application de Kiev délivrant les alertes.
Le futur arbre de Noël de la place Sainte-Sophie, annoncé cette année avec moins de guirlandes lumineuses, porte déjà le label « sapin de la résilience ». La centaine de tentes grises dressées à Kiev ou Irpine pour recharger téléphones et batteries, trouver une connexion (via le satellite Starlink) ou du thé chaud, de l’eau et du chauffage sont des « points de résilience ». Pas une journée sans une nouvelle trouvaille. Comme toujours, les Ukrainiens ont préféré en rire. Sur les réseaux sociaux, un post de leur pays entièrement peint en bleu, au-dessus de cette simple légende – « point de résilience » – est devenu viral.
Guerre en Ukraine : la vie à Kiev, plongée dans l’obscurité et le froid
Ariane Chemin
Publié aujourd’hui à 06h30, mis à jour à 08h58
Razzia sur les lampes à piles et les générateurs, fuite vers la datcha et les poêles à bois, astuces de survie empruntées aux plus vieux… La capitale ukrainienne se débrouille pour continuer à vivre avec les coupures de courant que la Russie utilise comme une arme de guerre.
D’où vient ce caquètement quand Mykola Fechtchouk tourne la clé dans sa serrure ? Du fond de son appartement, au sixième étage d’un immeuble d’Irpine. C’est la lueur de sa lampe frontale qui dévoile la gêne de cet homme, au moment d’ouvrir la porte de son trois-pièces, en anorak et bonnet noir. « Vous m’excuserez, j’ai pris des poules cet été, ça permet d’avoir des œufs. » En ce début d’hiver, la ville, qui a poussé comme un champignon dans les dernières années de l’Union soviétique avant de devenir une banlieue agréable de Kiev, puis, il y a neuf mois, le symbole des terribles pilonnages de l’armée russe et de son retrait précipité, est touchée par le froid et l’obscurité. La lumière ne brille plus que quelques heures par jour – « trente minutes » ce jeudi 1er décembre, calcule le quadragénaire.
Mykola Fechtchouk vit dans un des immeubles visés par des raids aériens en mars. Quatre trous, tous les carreaux cassés. Blessé par un éclat d’obus, il était tombé dans la boue et s’était enfui « comme un rat » mettre sa femme et sa fille à l’abri en Pologne. En son absence, malgré les vitres soufflées, les Russes ont occupé les neuf étages de sa barre d’immeuble. Sauf son appartement : ce serrurier de métier s’était fabriqué la plus belle porte du monde, « 150 kg de blindage », rit-il. Il l’a réinvesti au printemps, y a passé l’été. Rien n’a été réparé, sauf qu’il neige à gros flocons, que la nuit tombe à 16 heures, qu’il gèle, et qu’à cause des récentes frappes aériennes sur les systèmes d’eau et d’électricité du pays, il fait tout noir. Encore un nouveau décor.
Un habitant sur cinq a déjà quitté Kiev et sa périphérie. Environ 80 % des exilés ont entre 18 et 35 ans, comme la fille et la femme de Mykola, toujours réfugiées dans un village polonais. Lui est resté en Ukraine, comme les hommes de son âge, mais sans argent, sans voiture, sans boulot, car « les habitants ont quitté la ville ». A peine si, de temps en temps, il dépanne les imprudents bloqués dans l’ascenseur par une panne de courant.
Le reste de sa vie se partage entre cigarettes grillées dans la cour de la cité à papoter avec ce qui reste du voisinage, et à faire un tour au supermarché, rouvert grâce à un générateur électrique. Les générateurs ! En Ukraine, particuliers ou entreprises, chacun veut aujourd’hui le sien. Mais les prix grimpent (25 000 hrivnas, soit environ 500 euros, le double de 2021), car la pénurie guette : on se cotise pour les trouver à la débrouille, en Pologne. Sur les pages Facebook, des briques de démonstration chauffent sur des cuisinières à gaz.
Des coquilles d’œuf dur traînent sur la table de la cuisine de Mykola, vestiges de son déjeuner devant un immeuble éventré et noirci – la vue depuis sa fenêtre toute rafistolée. En quelques semaines, Kiev et sa banlieue redécouvrent les vieux « trucs » d’hier. Les trois poules rousses enfermées derrière une planche, au coin de son couloir ? « Je me suis souvenu des conseils de ma grand-mère, qui a vécu en Oural entre 1939 à 1946 », dit le serrurier. Il attrape une lampe à huile sur une étagère. « Une antiquité : ma grand-mère nous racontait qu’elle s’en servait petite pour lire et pour écrire. » Sa mère lui a offert sa frontale, un accessoire indispensable en cet hiver ukrainien privé d’éclairage public, et sa femme des photophores en étoile. En cas de pénurie de piles, il pourra compter sur elles.
Des applications téléphoniques de la mairie tentent bien de planifier le rationnement en électricité et ces coupures en « éventail », dit-on joliment ici. Mais elles pèchent souvent par optimisme : le noir peut survenir, à chaque instant. Salles de fitness, cafétérias d’hypermarchés, piscines - comme celle de Dragomanov, où les nageurs effectuent leur brasse dans le noir : chacun reste imperturbable. « Voilà trois semaines qu’on s’adapte », explique Laryssa dans son magasin d’optique privé d’éclairage. « Quand on ne peut pas faire d’examen de vue, poursuit l’opticienne sous un poster pour lunettes de soleil, on note les portables, et dès que la lumière revient, on rappelle : venez, courez ! »
Au 11, rue Lavroukhina, au cœur du quartier populaire de Troyechtchyna, l’un des plus vastes de la capitale ukrainienne, les locataires ont suspendu un tote Bag Zara dans l’ascenseur. Le sac de toile, surnommé « kit de survie », y reste accroché nuit et jour. Dedans, une bouteille d’eau, une lampe de poche à ampoule led, « des cookies et un petit sandwich, au cas où », explique Tetyana Savitska, une mère de famille divorcée de 54 ans qui vit seule dans un studio où « chaque chose est à sa place ». Car dans l’obscurité, il faut une discipline.
Avant de s’endormir, Tetyana Savitska pose près d’elle lampe de poche et « licorne magique », une décoration lumineuse à piles en forme de cette créature de légende qui lui sert pour travailler et lire – « en ce moment, la bio de Churchill par Boris Johnson ». Et si, en pleine nuit, elle entend le frigidaire se mettre en branle, « alors debout, pas de temps pour la paresse », elle prépare vite « trois thermos, l’une de thé, l’autre de café, la dernière pour la toilette ». Si l’eau a eu le temps de chauffer, elle s’offre un bon shampoing.
Chaque soir, elle pose sur son radiateur encore tiède « un pot en verre dans lequel vous battez deux ou trois œufs, une cuillère de crème fraîche, du fromage râpé et des épices. Le matin, je trouve une délicieuse omelette toute prête ». De quoi partir travailler au service numérique de sa société le ventre plein.
Chacun ses recettes. A quelques blocs de là, Lioudmyla Oleksina, aide-soignante de 65 ans, montre les bouteilles d’eau dont elle se fait des bouillottes à « poser sur les genoux » et le balcon qui sert désormais à conserver son beurre, son lait, les cornichons, la crème pour les beignets et le fromage, comme dans les celliers des campagnes, au temps où les frigos n’existaient pas. Chez d’autres, on y entrepose « le boudin » (noir).
A Hostomel, près de l’aérodrome où s’est livrée la grande bataille des 24 et 25 février, la maison d’Olia Prouss a été pulvérisée le 3 mars. Sur le marché, son bazar, mi-droguerie mi-quincaillerie, écoule désormais surtout des bougies qu’elle brûle aussi le soir, dans le petit meublé loué avec son mari, dans la même rue qu’avant. Le couple y regarde des films sous les couvertures du lit pliant en grignotant, entre leurs deux chiens et leurs cinq chats, les graines de tournesol et les pétales de coing séchés toute la journée sur le four à bois. La garantie de n’avoir jamais froid.
Début octobre, beaucoup de Kiéviens ont pris la route vers une datcha : la leur, celle des grands-parents, d’amis… Le bois y a été « fait » dès la fin de l’été, en prévision de l’hiver. La vie y est plus facile qu’en ville. En novembre, la mairie de Kiev avait d’ailleurs prévenu que si le système électrique arrivait à un « point de rupture », les habitants seraient appelés à « évacuer » la ville. Le maire, Vitali Klitschko, vient, cette fois, de suspendre les cours des élèves de primaire et du secondaire, du 23 décembre au 27 janvier 2023, pour les reporter en juillet. Comme si la capitale se préparait à un siège.
Il faut dire qu’avec les personnes âgées, les enfants souffrent plus que d’autres de la guerre et de la pression psychologique menée par Moscou. Un landau prend le frais sur un balcon du quartier de Borchtchaguivka. Dedans, le bébé de cinq mois de Dacha Stokoz, emmitouflé jusqu’aux yeux. La jeune femme de 32 ans a laissé provisoirement son mari dans leur logement de l’ouest de la capitale, trop proche à son goût de l’usine Antonov bombardée en mars, préférant l’appartement de ses parents, au sud de Kiev. Mais il se trouve au… 11e étage : trop haut pour sortir une poussette sans ascenseur. « Je fais prendre l’air à mon petit garçon ainsi, je l’allaite, ce qui simplifie les choses, et j’ai prévu dix jours de lingettes, si l’eau venait à manquer. » Dès qu’un raid aérien se profile, le bébé est vite éloigné des fenêtres. « Si je vous raconte tranquillement tout ça, confesse cette actrice, c’est qu’aujourd’hui je prends des antidépresseurs. »
Chaque pharmacie de Kiev constate une hausse des ventes de « vitamines C, D, et de zinc », mais le boom des achats concerne surtout les calmants. Pas de simples huiles essentielles ou de pilules homéopathiques, mais des somnifères « puissants » pour trouver le sommeil et « des anxiolytiques costauds », précise une pharmacienne. Des traitements capables d’installer, quand l’optimisme gouvernemental et la ferveur patriotique ne suffisent plus, cette fameuse « résilience », ou capacité à surmonter les chocs traumatiques, devenue en quelques semaines le synonyme de la résistance civile ukrainienne et passée dans le langage courant.
« Le terme n’est pas utilisé par hasard, dit Sofiya Terlez, psychologue clinicienne et spécialiste de thérapie familiale. Des psys ukrainiens ont été aidés lors de formations hebdomadaires sur les stress post-traumatiques par des collègues américains et israéliens. [L’épouse du président] Olena Zelenska travaille beaucoup avec nous, le mot a été repris par les politiques » pour se transformer en quasi-slogan après les frappes sur les infrastructures civiles. « Soyez résilients », affiche l’application de Kiev délivrant les alertes.
Le futur arbre de Noël de la place Sainte-Sophie, annoncé cette année avec moins de guirlandes lumineuses, porte déjà le label « sapin de la résilience ». La centaine de tentes grises dressées à Kiev ou Irpine pour recharger téléphones et batteries, trouver une connexion (via le satellite Starlink) ou du thé chaud, de l’eau et du chauffage sont des « points de résilience ». Pas une journée sans une nouvelle trouvaille. Comme toujours, les Ukrainiens ont préféré en rire. Sur les réseaux sociaux, un post de leur pays entièrement peint en bleu, au-dessus de cette simple légende – « point de résilience » – est devenu viral.
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Mariés en Ukraine : après la noce, le couple rattrapé par la peur et la dépression
La-Croix.com
Récit
Dans les premiers mois de l’invasion russe, l’Ukraine a connu une forte hausse des mariages. La Croix retrace l’histoire de Vitaliï, soldat volontaire, et Bohdana, militante et activiste, à l’amour comme à la guerre. Aujourd’hui, des couples ukrainiens rattrapés par la fatigue, la peur et le deuil.
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Mariés en Ukraine : après la noce, le couple rattrapé par la peur et la dépression
Après la consultation d’un psychologue, le verdict tombe : Bohdana traverse une « petite dépression ». Ici, dans sa chambre, où sont éparpillés les photos prises avec son mari durant la première année de la guerre. Olga Ivashchenko pour La Croix
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Il était une heure du matin lorsque la sirène d’alarme a fracassé le silence dans les rues de Kiev. Bohdana Levytska s’est levée en soufflant et a attrapé son sac à dos qu’elle a pris l’habitude de poser chaque soir au pied de son lit. Il renferme de quoi passer la nuit dans le métro : une bouteille d’eau, un duvet léger et un tapis de sol. Sur le chemin de la station, la jeune femme a croisé les Kiéviens qui craignent de rester chez eux lorsque les Russes bombardent la capitale ukrainienne. La plupart des marcheurs pressés étaient des femmes accompagnées de jeunes enfants. Les mamans les plus effrayées couraient avec leur poussette. Un « crève-cœur » pour Bohdana.
Une fois à l’abri, l’Ukrainienne a retrouvé sa place favorite : un coin tranquille près de l’escalier roulant. Rassurée par les mètres de terre et de béton entre son lit de fortune et les bombes, elle a dormi pendant trois heures d’un sommeil nerveux, puis est rentrée avant l’aube chez sa mère qui l’héberge depuis le premier jour de la guerre. Une de ces interminables journées de travail a alors commencé. En arrivant dans les locaux de Veteran Hub, l’organisation ukrainienne d’aide aux anciens combattants, personne n’a prêté attention à son retard et à ses traits tirés.
Le verdict tombe, « dépression »
Pour les habitants de la capitale, il s’agit d’une « routine usante » qui dure depuis l’automne 2022, date à laquelle les Russes ont intensifié les tirs de missiles sur les grandes villes. Les nuits de bombardement, la majorité des habitants ne bougent plus de leur lit malgré les déflagrations, un deuxième groupe se pose au milieu du couloir de l’appartement à bonne distance des fenêtres et une petite minorité effrayée continue de se réfugier dans le métro comme aux premiers temps de l’invasion. À la différence de son mari, Vitaliï Kuzmenko, engagé volontaire au sein d’une unité de renseignement de l’armée, Bohdana ne s’est jamais vraiment habituée à ces attaques. Sa raison a beau lui dire que les risques ont considérablement diminué grâce à l’arrivée du système américain de défense antimissiles Patriot, ses angoisses sont trop fortes.
Mariés en Ukraine : après la noce, le couple rattrapé par la peur et la dépression
Bohdana Levitska dans son bureau au Veteran Hub, l’organisation ukrainienne d’aide aux anciens combattants, à Kiev le 18 mai 2023. / Olga Ivashchenko pour La Croix
L’anxiété est allée crescendo au cours de l’année 2022. « Au début de la guerre, l’adrénaline me portait, se souvient la jeune femme. Par la suite, la fatigue s’est installée, et c’est devenu de plus en plus dur. Je supporte difficilement de vivre sous les roquettes. » À la fin de l’automne, Bohdana commence à perdre l’appétit. Des cauchemars hantent ses nuits. Sa conduite au volant devient dangereuse. Ranger sa chambre est une épreuve. Elle pense partir à l’étranger, puis y renonce lorsqu’une amie exilée lui confie subir des crises de panique même à 2 000 km de la guerre. Après la consultation d’un psychologue, une pratique de moins en moins taboue en Ukraine, le verdict tombe : Bohdana traverse une « petite dépression ».
Même à Kiev, la capitale, à des centaines de kilomètres du front, le conflit brutalise les esprits des civils. Certains s’isolent, trop fatigués pour sortir, d’autres soignent leur angoisse en augmentant insidieusement leur consommation d’alcool. La violence s’installe au cœur des familles. « Autour de moi, chacun réagit différemment face au stress », note Bohdana. Dans cette guerre de haute intensité, la mort se rapproche des civils. « J’ai perdu tant d’amis », insiste la jeune femme. Elle a renoncé à assister à chaque fois aux funérailles des soldats qu’elle connaissait. À l’église, remarque-t-elle, le cercueil n’est pas toujours fermé comme le préconise la tradition orthodoxe : c’est le signe que le corps du soldat est durement abîmé.
Funérailles nationales à Kiev
Les pierres tombales grignotent à vive allure les espaces verts des cimetières du pays. « Ce sont les meilleurs, les plus intelligents, les plus patriotes qui meurent », s’inquiète Bohdana en pensant aux anciens de la révolution du Maïdan tombés au champ d’honneur. De nombreux manifestants de l’hiver 2013-2014, à peine sortis de l’adolescence, ont combattu les Russes et les séparatistes du Donbass dès le printemps 2014. L’ultranationaliste Dmytro Kotsioubaïlo est l’un des plus célèbres porte-drapeaux de cette génération. L’officier charismatique est mort le 7 mars dans les bras de sa fiancée, la sous-lieutenante Alina Mykhaïlova, qui s’était enrôlée dans le même bataillon après le début de l’invasion. « Je voulais rester auprès de lui », raconta-t-elle. Son bien-aimé avait 27 ans.
« Da Vinci », le surnom du défunt, a eu droit à des funérailles nationales à Kiev en présence du président Zelensky, du ministre de la défense Oleksiï Reznikov, du chef d’état-major des armées, le général Valeri Zaloujny, d’une cohorte d’officiers et de milliers d’anonymes qui se sont agenouillés en signe de respect. Le couple foudroyé est devenu, auprès de la jeunesse, un symbole de la passion amoureuse et de la résistance ukrainienne. « Tout le monde peut perdre son amour », insiste Bohdana qui était aux funérailles. Répondant à une question muette, elle ajoute à voix haute : « Je suis content que Vitaliï soit dans une unité d’analyse plutôt qu’une tranchée de Bakhmout. »
Mariés en Ukraine : après la noce, le couple rattrapé par la peur et la dépression
Vitaliï Kuzmenko, soldat volontaire, et Bohdana Levytska, militante et activiste. / B. Levytska
Entre l’arrière et le front, entre le civil et le combattant, le rapport au deuil change et crée des incompréhensions douloureuses. Vitaliï et Bohdana ont ainsi traversé une zone de turbulences au lendemain de la disparition de leur ami surnommé « Thar », un engagé volontaire dont le corps abandonné aux mains de l’ennemi gît quelque part dans la région du Donbass. La nouvelle est tombée sur la tête de Bohdana comme un coup d’assommoir, le 4 novembre 2022. Quand elle a cherché du réconfort auprès de son mari, elle s’est heurtée à un bloc de granit : le soldat au téléphone ne s’est départi ni de son calme ni de sa retenue habituelle.
« C’est lui mon antidépresseur »
Sur l’instant, Bohdana a été blessée par cette froideur apparente. « J’attendais de sa part plus d’empathie et plus d’émotion, se souvient-elle. Il ne me l’a pas donné. Cela a été un moment dur pour moi. » L’épouse a compris au fil du temps qu’il était égoïste et vain d’exiger du soldat, en prise quotidienne avec la mort de ses pairs, de laisser parler son cœur. « C’est dur de perdre des amis, mais j’essaie de minimiser mes émotions et de rester dans un état d’esprit stable », reconnaît l’intéressé. Vitaliï s’est fait une promesse : après la « victoire », il visitera tous les cimetières où reposent ses proches.
Mariés en Ukraine : après la noce, le couple rattrapé par la peur et la dépression
Dans sa chambre, Bohdana regarde les photos qu'elle a prises pendant la première année de guerre. / Olga Ivashchenko pour La Croix
Sa femme dit avoir changé au lendemain de la mort de « Thar ». C’est de cette période que datent ses angoisses et sa dépression de l’hiver. « J’ai resserré mon cercle relationnel », note-t-elle. Terminés les barbecues, finies les soirées festives de Kiev où des jeunes tentent d’oublier les bombes et les funérailles avant le couvre-feu de 23 heures : son quotidien se concentre désormais sur son travail ainsi que sur les collectes d’argent et de matériel pour les soldats. « J’économise mon énergie, mon temps. J’ai enlevé tout ce qui était superflu de ma vie », constate Bohdana, sans juger « ceux qui veulent faire la fête de temps à autre. Il faut bien continuer à vivre ».
La militante prend des antidépresseurs, mais s’en passe très bien à chaque fois qu’elle retrouve Vitaliï, lors de ses permissions de vingt-quatre heures. « Je dors bien à ses côtés », confie-t-elle, le regard pétillant. Ses yeux se posent sur les photos du couple et de leurs amis, étalées sur la couverture sombre du lit de sa chambre. Chaque image instantanée raconte un jour de la guerre. Une photo légèrement floutée a immortalisé son étrange mariage (lire l’épisode 2 de la série) sous les bombardements russes, le 4 mars 2022. Pour le premier anniversaire de leur union, son mari lui a écrit sur le ton de l’humour froid qu’il affectionne : « Tu vois, rien n’a changé en un an. L’année dernière tu m’attendais, cette année tu m’attends. »
Demain : Cultiver son amour en temps de guerre
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D’une révolution à l’autre : La révolution du Maïdan
Au soir du 21 novembre 2013, Vitaliï Kuzmenko rejoint les manifestants rassemblés sur le Maïdan pour protester contre la décision du président Viktor Ianoukovytch de reporter l’accord d’association avec l’Union européenne. Le gouvernement fait l’erreur, le 30 novembre, d’envoyer la police antiémeute contre les protestataires, alors peu nombreux.
Le lendemain, un demi-million d’habitants marchent dans le centre-ville et transforment le Maïdan en espace de liberté et de discussion. Au cœur de l’hiver, les heurts avec les forces antiémeutes dégénèrent en affrontements sanglants qui culminent le 18 février 2014 par la mort de 77 personnes dont neuf policiers. Le Parlement se désolidarise alors du chef de l’État Viktor Ianoukovytch. Le 21 février, il s’enfuit en Russie. La révolution triomphe. Les députés nomment un gouvernement provisoire dirigé par les chefs de l’opposition.
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Mariés en Ukraine : après la noce, le couple rattrapé par la peur et la dépression
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Récit
Dans les premiers mois de l’invasion russe, l’Ukraine a connu une forte hausse des mariages. La Croix retrace l’histoire de Vitaliï, soldat volontaire, et Bohdana, militante et activiste, à l’amour comme à la guerre. Aujourd’hui, des couples ukrainiens rattrapés par la fatigue, la peur et le deuil.
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Mariés en Ukraine : après la noce, le couple rattrapé par la peur et la dépression
Après la consultation d’un psychologue, le verdict tombe : Bohdana traverse une « petite dépression ». Ici, dans sa chambre, où sont éparpillés les photos prises avec son mari durant la première année de la guerre. Olga Ivashchenko pour La Croix
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Il était une heure du matin lorsque la sirène d’alarme a fracassé le silence dans les rues de Kiev. Bohdana Levytska s’est levée en soufflant et a attrapé son sac à dos qu’elle a pris l’habitude de poser chaque soir au pied de son lit. Il renferme de quoi passer la nuit dans le métro : une bouteille d’eau, un duvet léger et un tapis de sol. Sur le chemin de la station, la jeune femme a croisé les Kiéviens qui craignent de rester chez eux lorsque les Russes bombardent la capitale ukrainienne. La plupart des marcheurs pressés étaient des femmes accompagnées de jeunes enfants. Les mamans les plus effrayées couraient avec leur poussette. Un « crève-cœur » pour Bohdana.
Une fois à l’abri, l’Ukrainienne a retrouvé sa place favorite : un coin tranquille près de l’escalier roulant. Rassurée par les mètres de terre et de béton entre son lit de fortune et les bombes, elle a dormi pendant trois heures d’un sommeil nerveux, puis est rentrée avant l’aube chez sa mère qui l’héberge depuis le premier jour de la guerre. Une de ces interminables journées de travail a alors commencé. En arrivant dans les locaux de Veteran Hub, l’organisation ukrainienne d’aide aux anciens combattants, personne n’a prêté attention à son retard et à ses traits tirés.
Le verdict tombe, « dépression »
Pour les habitants de la capitale, il s’agit d’une « routine usante » qui dure depuis l’automne 2022, date à laquelle les Russes ont intensifié les tirs de missiles sur les grandes villes. Les nuits de bombardement, la majorité des habitants ne bougent plus de leur lit malgré les déflagrations, un deuxième groupe se pose au milieu du couloir de l’appartement à bonne distance des fenêtres et une petite minorité effrayée continue de se réfugier dans le métro comme aux premiers temps de l’invasion. À la différence de son mari, Vitaliï Kuzmenko, engagé volontaire au sein d’une unité de renseignement de l’armée, Bohdana ne s’est jamais vraiment habituée à ces attaques. Sa raison a beau lui dire que les risques ont considérablement diminué grâce à l’arrivée du système américain de défense antimissiles Patriot, ses angoisses sont trop fortes.
Mariés en Ukraine : après la noce, le couple rattrapé par la peur et la dépression
Bohdana Levitska dans son bureau au Veteran Hub, l’organisation ukrainienne d’aide aux anciens combattants, à Kiev le 18 mai 2023. / Olga Ivashchenko pour La Croix
L’anxiété est allée crescendo au cours de l’année 2022. « Au début de la guerre, l’adrénaline me portait, se souvient la jeune femme. Par la suite, la fatigue s’est installée, et c’est devenu de plus en plus dur. Je supporte difficilement de vivre sous les roquettes. » À la fin de l’automne, Bohdana commence à perdre l’appétit. Des cauchemars hantent ses nuits. Sa conduite au volant devient dangereuse. Ranger sa chambre est une épreuve. Elle pense partir à l’étranger, puis y renonce lorsqu’une amie exilée lui confie subir des crises de panique même à 2 000 km de la guerre. Après la consultation d’un psychologue, une pratique de moins en moins taboue en Ukraine, le verdict tombe : Bohdana traverse une « petite dépression ».
Même à Kiev, la capitale, à des centaines de kilomètres du front, le conflit brutalise les esprits des civils. Certains s’isolent, trop fatigués pour sortir, d’autres soignent leur angoisse en augmentant insidieusement leur consommation d’alcool. La violence s’installe au cœur des familles. « Autour de moi, chacun réagit différemment face au stress », note Bohdana. Dans cette guerre de haute intensité, la mort se rapproche des civils. « J’ai perdu tant d’amis », insiste la jeune femme. Elle a renoncé à assister à chaque fois aux funérailles des soldats qu’elle connaissait. À l’église, remarque-t-elle, le cercueil n’est pas toujours fermé comme le préconise la tradition orthodoxe : c’est le signe que le corps du soldat est durement abîmé.
Funérailles nationales à Kiev
Les pierres tombales grignotent à vive allure les espaces verts des cimetières du pays. « Ce sont les meilleurs, les plus intelligents, les plus patriotes qui meurent », s’inquiète Bohdana en pensant aux anciens de la révolution du Maïdan tombés au champ d’honneur. De nombreux manifestants de l’hiver 2013-2014, à peine sortis de l’adolescence, ont combattu les Russes et les séparatistes du Donbass dès le printemps 2014. L’ultranationaliste Dmytro Kotsioubaïlo est l’un des plus célèbres porte-drapeaux de cette génération. L’officier charismatique est mort le 7 mars dans les bras de sa fiancée, la sous-lieutenante Alina Mykhaïlova, qui s’était enrôlée dans le même bataillon après le début de l’invasion. « Je voulais rester auprès de lui », raconta-t-elle. Son bien-aimé avait 27 ans.
« Da Vinci », le surnom du défunt, a eu droit à des funérailles nationales à Kiev en présence du président Zelensky, du ministre de la défense Oleksiï Reznikov, du chef d’état-major des armées, le général Valeri Zaloujny, d’une cohorte d’officiers et de milliers d’anonymes qui se sont agenouillés en signe de respect. Le couple foudroyé est devenu, auprès de la jeunesse, un symbole de la passion amoureuse et de la résistance ukrainienne. « Tout le monde peut perdre son amour », insiste Bohdana qui était aux funérailles. Répondant à une question muette, elle ajoute à voix haute : « Je suis content que Vitaliï soit dans une unité d’analyse plutôt qu’une tranchée de Bakhmout. »
Mariés en Ukraine : après la noce, le couple rattrapé par la peur et la dépression
Vitaliï Kuzmenko, soldat volontaire, et Bohdana Levytska, militante et activiste. / B. Levytska
Entre l’arrière et le front, entre le civil et le combattant, le rapport au deuil change et crée des incompréhensions douloureuses. Vitaliï et Bohdana ont ainsi traversé une zone de turbulences au lendemain de la disparition de leur ami surnommé « Thar », un engagé volontaire dont le corps abandonné aux mains de l’ennemi gît quelque part dans la région du Donbass. La nouvelle est tombée sur la tête de Bohdana comme un coup d’assommoir, le 4 novembre 2022. Quand elle a cherché du réconfort auprès de son mari, elle s’est heurtée à un bloc de granit : le soldat au téléphone ne s’est départi ni de son calme ni de sa retenue habituelle.
« C’est lui mon antidépresseur »
Sur l’instant, Bohdana a été blessée par cette froideur apparente. « J’attendais de sa part plus d’empathie et plus d’émotion, se souvient-elle. Il ne me l’a pas donné. Cela a été un moment dur pour moi. » L’épouse a compris au fil du temps qu’il était égoïste et vain d’exiger du soldat, en prise quotidienne avec la mort de ses pairs, de laisser parler son cœur. « C’est dur de perdre des amis, mais j’essaie de minimiser mes émotions et de rester dans un état d’esprit stable », reconnaît l’intéressé. Vitaliï s’est fait une promesse : après la « victoire », il visitera tous les cimetières où reposent ses proches.
Mariés en Ukraine : après la noce, le couple rattrapé par la peur et la dépression
Dans sa chambre, Bohdana regarde les photos qu'elle a prises pendant la première année de guerre. / Olga Ivashchenko pour La Croix
Sa femme dit avoir changé au lendemain de la mort de « Thar ». C’est de cette période que datent ses angoisses et sa dépression de l’hiver. « J’ai resserré mon cercle relationnel », note-t-elle. Terminés les barbecues, finies les soirées festives de Kiev où des jeunes tentent d’oublier les bombes et les funérailles avant le couvre-feu de 23 heures : son quotidien se concentre désormais sur son travail ainsi que sur les collectes d’argent et de matériel pour les soldats. « J’économise mon énergie, mon temps. J’ai enlevé tout ce qui était superflu de ma vie », constate Bohdana, sans juger « ceux qui veulent faire la fête de temps à autre. Il faut bien continuer à vivre ».
La militante prend des antidépresseurs, mais s’en passe très bien à chaque fois qu’elle retrouve Vitaliï, lors de ses permissions de vingt-quatre heures. « Je dors bien à ses côtés », confie-t-elle, le regard pétillant. Ses yeux se posent sur les photos du couple et de leurs amis, étalées sur la couverture sombre du lit de sa chambre. Chaque image instantanée raconte un jour de la guerre. Une photo légèrement floutée a immortalisé son étrange mariage (lire l’épisode 2 de la série) sous les bombardements russes, le 4 mars 2022. Pour le premier anniversaire de leur union, son mari lui a écrit sur le ton de l’humour froid qu’il affectionne : « Tu vois, rien n’a changé en un an. L’année dernière tu m’attendais, cette année tu m’attends. »
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D’une révolution à l’autre : La révolution du Maïdan
Au soir du 21 novembre 2013, Vitaliï Kuzmenko rejoint les manifestants rassemblés sur le Maïdan pour protester contre la décision du président Viktor Ianoukovytch de reporter l’accord d’association avec l’Union européenne. Le gouvernement fait l’erreur, le 30 novembre, d’envoyer la police antiémeute contre les protestataires, alors peu nombreux.
Le lendemain, un demi-million d’habitants marchent dans le centre-ville et transforment le Maïdan en espace de liberté et de discussion. Au cœur de l’hiver, les heurts avec les forces antiémeutes dégénèrent en affrontements sanglants qui culminent le 18 février 2014 par la mort de 77 personnes dont neuf policiers. Le Parlement se désolidarise alors du chef de l’État Viktor Ianoukovytch. Le 21 février, il s’enfuit en Russie. La révolution triomphe. Les députés nomment un gouvernement provisoire dirigé par les chefs de l’opposition.
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Mariés en Ukraine : le jour où Vitaliï a fait sa demande à Bohdana
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Le sommeil est souvent l’une des victimes collatérales de la guerre, et celui de Bohdana Levytska n’a pas résisté à sa première nuit de bombardement. Le 24 février 2022, à 5 h 09 très précisément, la jeune femme a été tirée de ses rêves par les sirènes d’alarme et les tirs de la DCA ukrainienne, la défense antiaérienne, au-dessus de Kiev.
L’information s’est instantanément diffusée jusqu’à son cerveau embrumé : « La guerre avec la Russie a commencé », se dit-elle sous le choc. Sur son téléphone, les messages de ses amis s’affichent en rafales. « Les obus ne tombent pas sur nous, tu peux te recoucher », lance son compagnon, Vitaliï Kuzmenko, en refermant les yeux.
Comment continuer à dormir quand votre pays est bombardé par son immense voisin ? Bohdana n’a pas l’assurance tranquille de son petit ami, un vétéran qui a combattu les séparatistes et leurs alliés russes de 2014 à 2016, lors de la première guerre du Donbass. Elle tourne dans l’appartement tel un animal affolé, l’estomac en vrac. Au bout de trente minutes, n’y tenant plus, elle secoue à nouveau son compagnon :
– Réveille-toi, cela a commencé.
– OK.
– Non ce n’est pas OK. Réveille-toi ! Qu’est-ce que je peux faire ?
– Fais ta valise.
En trois minutes, Bohdana jette ses vêtements dans son sac puis secoue à nouveau son petit ami qui s’était assoupi entre-temps. De guerre lasse, il finit par lâcher : « Prépare-moi un café. » Après une douche rapide, le couple quitte l’appartement en fermant la serrure à double tour, s’engouffre dans le métro qui fonctionne encore malgré les alertes aériennes, puis rejoint la petite villa nichée dans un quartier résidentiel de Kiev où habite la mère de Bohdana. Sa compagne à l’abri, Vitaliï prend congé sans un regard en arrière. Les mots sont inutiles : chacun connaît sa mission.
Bohdana découvre une kalachnikov à la maison
Ce matin-là, une grande partie de l’Ukraine est encore paralysée par la stupeur. Les bruits de guerre attisés par les avertissements des services de renseignements américains avaient beau courir depuis décembre 2021, ils n’ont pas été nombreux à y accorder du crédit, à commencer par le président Volodymyr Zelensky lui-même, qui a tendance à critiquer les alertes des États-Unis. À rebours du sentiment général, Vitaliï et son petit groupe de vétérans du Donbass ont pris très au sérieux les annonces de déploiements de troupes russes aux frontières du pays, des informations que leur ont confirmées des amis au sein de l’armée.
Sa connaissance de l’histoire coloniale russe – il a étudié l’histoire à l’université – a achevé de convaincre le jeune homme de la réalité de la menace. Lui et ses compagnons d’armes ont commencé leurs préparatifs dès le début février. Dans le placard de la chambre, Bohdana découvre un jour des vêtements militaires. Un autre, sa main tombe sur une kalachnikov au milieu des vêtements. Et puis un soir, elle surprend son homme en train de nettoyer le fusil automatique pièce par pièce. Son sac à dos kaki est bouclé. Le matériel de première nécessité a été soigneusement empilé pièce par pièce. Nous sommes le 23 février. « J’ai compris que la guerre était inévitable, se souvient la jeune femme. J’ai eu peur, mais je n’ai rien dit. »
Mariés en Ukraine : le jour où Vitaliï a fait sa demande à Bohdana
Vitaliï Kuzmenko, soldat volontaire, et Bohdana Levytska, militante et activiste. / B. Levytska
C’est la fin d’une parenthèse enchantée au cours de laquelle les deux jeunes gens ont cru toucher au bonheur d’une relation stable, construite sur des valeurs communes. « On se comprend sans avoir besoin de faire de longs discours », résume Vitaliï. Avec sa chevelure auburn flamboyante, sa longue silhouette et son énergie débordante, Bohdana, 29 ans, est le genre de femme qui ne passe pas inaperçue dans une assemblée. « Elle est le feu », glisse Svetlana, une de ses amies. Le visage mangé par une barbe brune, son petit ami, 32 ans, se rapprocherait davantage de la glace avec son visage sérieux, son front haut, son ton posé et sa voix réfléchie.
Un couple de la génération Maïdan
Tous deux appartiennent au petit monde des militants de Kiev, des gens éduqués, pro-européens et résolument anti-russes qui entretiennent la flamme vacillante de la révolution du Maïdan. Cette génération, largement apolitique avant l’hiver 2014, s’est forgé une opinion sur les barricades du Maïdan, formant une avant-garde citoyenne bien décidée à tourner la page de l’héritage soviétique. Blessé sur la place au début du mouvement, Vitaliï fut l’une des premières victimes des violences policières, qui poussèrent en réaction un demi-million de personnes à manifester dans les rues de la capitale. Bohdana y découvrit la force des actions solidaires.
Mariés en Ukraine : le jour où Vitaliï a fait sa demande à Bohdana
Bohdana et sa mère devant leur maison nichée dans un quartier résidentiel de Kiev. / Olga Ivashchenko pour La Croix
À la chute du pouvoir prorusse du président Ianoukovytch, certains militants investirent les cabinets ministériels, d’autres se frottèrent à la dure école de la vie politique locale. La guerre contre les Russes et les séparatistes du Donbass draina son lot de volontaires du Maïdan parmi lesquels Vitaliï, parti se battre de 2014 à 2016. Sa future compagne, elle, collectait au même moment du matériel pour les soldats d’une armée en manque de tout, puis mit son énergie patriotique au service des vétérans de retour du front. Les deux militants feront connaissance en 2019 au ministère des anciens combattants, engagés tous deux à réformer un système rouillé par la corruption et la bureaucratie soviétique.
Le 24 février 2022, la génération Maïdan a retrouvé les réflexes acquis durant la révolution du même nom. « Vitaliï et moi, on avait mis au point un plan en cas d’invasion », explique la jeune femme. Un, elle devait se mettre à l’abri chez sa mère. Deux, Vitaliï retrouverait un groupe d’anciens du Donbass qui défendraient Kiev armes à la main. Trois, sa compagne organiserait le soutien à l’armée. Ils se sont tenus au plan. Après quarante-huit heures de sidération, Bohdana a rejoint l’immense élan de solidarité qui saisit alors la société ukrainienne. Partout, on improvise des tranchées, on collecte de la nourriture pour les soldats, on confectionne des filets de camouflage, on rassemble du matériel.
« Les bureaux des mariages sont-ils ouverts en ce moment ? »
La maison familiale de Bohdana sert tour à tour d’entrepôt et d’abri où s’installent une dizaine de parents et d’amis. Sa mère, une vétérinaire qui a accueilli des militants durant la « révolution orange » de 2004 puis celle du Maïdan, retrouve une seconde jeunesse. Les invités campent au milieu du salon et se serrent autour de la table à manger. On ne manque pas de boîtes de conserve ni de bombonnes d’eau : sur les conseils de Bohdana, le plein a été fait avant l’invasion. La clinique vétérinaire au rez-de-chaussée est transformée en entrepôt où les volontaires stockent des piles de cartons de drones, des vêtements et de l’argent qui servira à l’achat d’armes. L’organisation politique qui emploie Bohdana a débloqué des centaines de milliers d’euros sans tergiverser.
Mariés en Ukraine : le jour où Vitaliï a fait sa demande à Bohdana
Dans cet entrepôt, Bohdana conserve tout ce qu’elle va envoyer aux soldats ukrainiens sur le front. / Olga Ivashchenko pour La Croix
Prise dans un tourbillon, la jeune femme évite de trop penser à Vitaliï. Où se trouve-t-il ? Il n’a ni réapparu, ni donné de signes de vie. Ce n’est qu’au bout de trois jours qu’elle tombe sur une photo de lui au milieu de son unité, publiée sur le réseau social Telegram. « Au moins il est en vie », se dit-elle. Le soldat sonne finalement à la porte de la maison quatre jours après leur dernier baiser furtif. Ce n’est pas une visite de courtoisie : Bohdana l’a informé du matériel militaire qui est prêt à être acheminé sur le front.
Il reste « quinze minutes à peine » estime Bohdana. Le temps de charger les cartons dans son véhicule. Au moment de disparaître dans la ville, Vitaliï interroge sa compagne, l’air de rien : « Les bureaux des mariages sont-ils ouverts en ce moment ? » Bohdana reprend sa respiration un bref instant, puis répond sur le même ton détaché : « D’accord… Je ne sais pas, je vais appeler. » La bague et la demande en bonne et due forme attendront : le soldat reprend sa route sans s’appesantir sur ses sentiments. Il n’a pas dit quand il reviendrait. Sur le pas de la porte, sa compagne accuse le coup.
Les yeux dans le vague, Bohdana sourit aujourd’hui en rembobinant le fil de son histoire. Dans ses rêves, elle avait imaginé une demande en mariage en Géorgie, près d’une chute d’eau, de préférence en septembre quand le soleil est doux, avec son compagnon lui offrant une bague. Tant pis pour le romantisme, autre victime des temps de crise. « Je n’ai pas été déçue, confie-t-elle. On était au début de la guerre, ce n’était pas un temps pour les émotions. »
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D’une révolution à l’autre : la révolution de granite
Enfants de l’indépendance de l’Ukraine, Vitaliï et Bohdana sont des héritiers des événements connus sous le nom de « révolution de granite », à la fin de l’URSS. En octobre 1990, des étudiants envahissent la place de la Révolution-d’Octobre dans le centre de Kiev, le futur Maïdan, et entament une grève de la faim. Les manifestants, qui refusent le nouveau traité d’union censé prendre la suite de l’URSS, demandent la démission du premier ministre. Quand le gouvernement tente de les déloger par la force, 50 000 Kiéviens affluent sur la place pour les protéger, une répétition des événements avant 2013.
Bientôt, les universités de la capitale se mettent en grève. La majorité communiste au Parlement doit céder devant la fronde qui galvanise la société ukrainienne. Le 1er décembre 1991, plus de 90 % des Ukrainiens diront oui à l’indépendance lors d’un référendum d’autodétermination, un résultat qui atteint 85 % à Odessa, 83 % à Donetsk et 54 % en Crimée, trois régions pourtant majoritairement russophones.
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Re: C'est à Kyiv
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Mariés en Ukraine : à Kiev, une cérémonie de mariage en treillis
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Il faisait très froid à Kiev, en ce 4 mars 2022. Des flocons tombaient sur le bitume, le ciel avait des allures de défaite. Bohdana Levytska et ses trois amies traversaient la ville en agitant un permis spécial aux barrages tenus par des volontaires armés. La voiture finit par se garer sur le parking de l’unique bureau des mariages ouvert en ces temps de guerre. À l’intérieur, Bohdana, frissonnante dans son blouson beige, sourit : Vitaliï Kuzmenko était à l’heure. Habillé de pied en cap de sa tenue de combat, il était venu directement du front avec trois compagnons armés qui devaient servir de témoins. Programmée la veille, la cérémonie en mairie avait finalement dû être repoussée de vingt-quatre heures à cause des obligations du soldat.
À l’intérieur du bâtiment grisâtre, l’accueil fut glacial. Visiblement, la fonctionnaire de permanence aurait préféré être n’importe où plutôt qu’à son bureau qui résonnait sous le bruit des obus de l’envahisseur russe lancé à la conquête de Kiev. « Attendez dehors et revenez dans trente minutes », dit-elle au couple en s’emparant de leurs documents administratifs avec des gestes précipités. Vitaliï et Bohdana se retrouvèrent alors en tête à tête dans la voiture. Le soldat n’enleva pas ses gants noirs. Il enchaîna les coups de téléphone comme s’il était à son poste. « On a très peu parlé », raconte aujourd’hui sa conjointe. Le sujet de la conversation était si insignifiant qu’elle l’a oublié.
« Après la victoire, on fera une fête »
Trente minutes plus tard, les papiers étaient prêts. Les voilà officiellement mari et femme pour le meilleur et pour le pire. Ils n’échangèrent pas d’alliances, un achat renvoyé à des jours meilleurs, mais débouchèrent du vrai champagne français, une bouteille de Moët & Chandon conservée en vue des grandes occasions. Puis ils s’embrassèrent, reprirent en chœur un chant traditionnel ukrainien, et chaque groupe repartit vers sa mission : les femmes vers la collecte de matériels militaires et les hommes vers Irpin, en banlieue de Kiev, où les combats faisaient rage. « J’aime mon mariage, il ne ressemble à nul autre pareil », confie Bohdana en plongeant dans ses souvenirs.
Mariés en Ukraine : à Kiev, une cérémonie de mariage en treillis
Quelques jours après le début de la guerre, le 4 mars 2022, le couple s’est marié à Kiev aux côtés de ses proches. / B. Levytska
Deux heures après le passage en mairie, elle déchargeait un camion de livraison sur le parking d’une caserne. Son histoire arracha quelques larmes aux bénévoles qui l’aidaient à transporter les colis, malgré les bombes tombant à proximité. Elle rentra ensuite chez sa mère et surveilla l’horloge. Son mari, qui avait promis de partager leur nuit de noces, arriva vers 21 heures. Ils dînèrent d’un bout de viande et de fromage en guise de dessert, attablés avec la mère et la grand-mère de la mariée ainsi que trois amis réfugiés dans la maison familiale. Une bouteille de vin blanc fut débouchée pour l’occasion. Une noce sobre en somme. À l’aube, l’engagé volontaire repartit sur le champ de bataille. « Après la victoire, on fera une fête », se jura le couple. En été cette fois : c’est dur un mariage par – 15 °C.
En Ukraine, des milliers de couples ont suivi leur exemple au cours des semaines suivantes. Le mois de mars 2022 est devenu la saison des unions avec 20 726 actes officialisés en mairie, contre 13 767 l’année précédente. La tendance s’est poursuivie tout au long du premier semestre 2022, période durant laquelle le pays a dénombré 21 % de nouveaux mariés en plus par rapport à 2021. Si les choses se sont tassées à partir de l’automne, le pays a fini cependant par une hausse de 4,3 %, un chiffre considérable au regard des 8 millions d’Ukrainiens réfugiés à l’étranger et des villes martyrisées par les combats.
Le futur, c’est maintenant ou jamais
La guerre a bouleversé l’intime, entre la mobilisation des hommes et les familles déplacées, contraignant chacun à revoir ses priorités. Devant la brutalité et l’intensité des combats, avec ses cohortes de soldats mutilés, ses enterrements quotidiens et ses disparus, la mort a cessé d’être une idée abstraite et lointaine. La temporalité des couples en a été bouleversée. Terminées les procrastinations, finis les projets d’union renvoyés aux calendes grecques : le futur, c’est maintenant ou jamais. Avec l’imposition de la loi martiale, le gouvernement a d’ailleurs facilité les unions qui peuvent dorénavant être enregistrées à distance ou en présence d’un seul marié.
L’idée du mariage épouse aussi des considérations plus terre à terre, puisqu’en cas de décès, la veuve est assurée d’hériter et de toucher une pension. Entre amour et besoin de protection, Vitaliï a donc senti qu’il ne pouvait plus reculer : « Je voulais être certain que si je venais à mourir, Bohdana ne se retrouverait pas sans rien. » Avant l’invasion, ils avaient déjà évoqué la question du mariage sur le ton mi-sérieux, mi-léger de ces couples qui vivent ensemble depuis quelques mois à peine. « Je vais finir par chercher quelqu’un d’autre avant d’avoir 30 ans », glissait parfois la jeune femme à son compagnon. Dans son pays, les femmes se marient souvent avant d’atteindre l’âge de 25 ans.
Mariés en Ukraine : à Kiev, une cérémonie de mariage en treillis
Dans la maison de sa mère, Bohdana vit entourée de ses souvenirs avec Vitaliï. / Olga Ivashchenko pour La Croix
La guerre a aussi renvoyé à plus tard les envies de divorce. L’inclination naturelle a été de se rapprocher de son conjoint, de ses parents et de ses enfants, signe que les événements dramatiques ont redonné une place centrale aux liens familiaux. Le nombre des séparations enregistrées est ainsi passé de 118 768 à 89 197, soit une baisse d’environ 20 %, indique le ministère de la justice. Sans surprise, c’est au mois de mars 2022, la période où les forces russes menaçaient Kiev et la région d’Odessa, que les Ukrainiens ont le moins divorcé, avec 5 206 actes enregistrés. À l’inverse, décembre a connu un pic avec 9 866 cas recensés.
« Ses yeux flambaient de colère »
« Pour les couples, les difficultés viendront après la guerre », prévient Bohdana. La jeune femme a longuement travaillé sur la réinsertion des volontaires qui ont combattu contre les séparatistes du Donbass et leurs alliés russes à partir de 2014. Beaucoup ont formalisé leur union à la faveur du conflit, suivant un phénomène similaire à celui d’aujourd’hui. Après leur service, les retrouvailles n’ont pas toujours été heureuses et les taux de divorce ont grimpé en flèche. Les épouses ont dû apprendre à vivre avec des combattants durement marqués par l’expérience des tranchées, surtout en Ukraine où le syndrome post-traumatique, encore largement tabou, est peu soigné.
Aux racines de ce trouble insidieux provoquant crises d’angoisse, colère, hypervigilance, insomnies, dépression et somatisation : une confrontation brutale avec la mort qui produit une effraction dans le cerveau, y causant des lésions. Vitaliï est conscient des risques de ces blessures invisibles. Engagé sur le front du Donbass de 2014 à 2016, il a connu des nuits sans sommeil qui ont perturbé son retour à la vie civile. « Maintenant, il sait gérer, il a l’expérience », veut croire Bohdana. Tout en contrôle, il se protège des ascenseurs émotionnels qui guettent le soldat, mais comment garder la tête froide face à l’horreur d’un conflit de haute intensité ?
Mariés en Ukraine : à Kiev, une cérémonie de mariage en treillis
Engagé sur le front du Donbass de 2014 à 2016, Vitaliï est conscient des risques de ces blessures invisibles. / Olga Ivashchenko pour La Croix et B. Levytska
Quelques semaines après son mariage, Vitaliï a participé à la libération de Boutcha, banlieue chic aux portes de Kiev transformée en ville martyre. Il est tombé sur les corps de civils dans les rues, il a observé les regards vides des survivants. Il a entendu les témoignages des atrocités commises par l’occupant, les viols, la fosse commune. Durant cette période, il rentrait de temps à autre dormir auprès de sa jeune épouse dont la maison familiale était située à une vingtaine de kilomètres du front.
À son retour de Boutcha, il n’était plus pareil. « Ses yeux flambaient de colère, il voulait tuer tous les Russes, se souvient Bohdana. J’avais vraiment peur qu’il reste dans cet état d’esprit. Un mois là-bas, pour lui, c’était pire que ses deux ans d’opération dans le Donbass. » L’émotion a fini par retomber. « Il s’est adapté, j’en suis très heureuse. »
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D’une révolution à l’autre : la « révolution orange »
Bohdana Levytska avait 10 ans au moment où ses parents ont défilé sur le Maïdan, en 2004, pour protester contre l’élection frauduleuse à la présidentielle de Viktor Ianoukovytch. Après la défaite du favori Viktor Iouchtchenko, le 21 novembre, 200 000 Kiéviens affluent sur la place de l’Indépendance, surnommée Maïdan (esplanade). La « révolution orange », la couleur de Iouchtchenko, débute sous les yeux des téléspectateurs européens.
Face à la mobilisation, le président Koutchma, qui ne se représentait pas, suit les recommandations de la Cour constitutionnelle et annule l’élection frauduleuse. Lors du nouveau scrutin, Viktor Iouchtchenko l’emporte avec 52 % des suffrages face à son rival Ianoukovytch (44 %) que soutient Vladimir Poutine. Le chef du Kremlin a vécu la séquence comme un camouflet personnel, nourrissant sa rhétorique paranoïaque vis-à-vis des Américains.
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